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lundi 19 août 2013

TURQUIE: 19 AOÛT – En 4 minutes, ce qu'il faut retenir de l'actualité

Voici donc la sélection des principaux événements du week-end. L'intégralité des articles sur : Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 19 août 2013

=> L'AKP s'en prend au secrétaire général l'Organisation de la coopération islamique
Plusieurs poids lourds de l'AKP (Parti de la justice et du développement) ont appelé à la démission du secrétaire général l'Organisation de la coopération islamique (OCI), le diplomate turc Ekmeleddin İhsanoğlu, accusé de rester silencieux face aux violences en Égypte.

=> Erdoğan accuse le PKK de ne pas tenir ses engagements
Recep Tayyip Erdoğan a accusé le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan) de ne pas avoir respecté ses promesses en ne retirant pas ses troupes présentes en Turquie. 

=> Deux journalistes turcs arrêtés en Egypte
Samedi, les forces de sécurité égyptiennes ont interpellé deux journaliste turcs alors qu'ils étaient en train de couvrir la violente intervention de l'armée dans une mosquée du Caire, où étaient retranchés des centaines de manifestants pro-Morsi. Hibe Zekeriya, de l'agence Anadolu, a finalement été libérée hier après huit heures de détention. En revanche, Metin Turan, l'autre journaliste placé en détention et qui travaille pour la chaîne publique TRT, attendait toujours sa remise en liberté hier après-midi.

=> Un pilote de Turkish Airlines refuse de s'envoler pour le Liban
Un pilote de la compagnie Turkish Airlines a refusé d'assurer la liaison Istanbul-Beyrouth, dimanche à 1h00 du matin. 

=> Enlèvement au Liban : trois suspects arrêtés
Les autorités libanaises ont annoncé samedi avoir arrêté trois personnes dans le cadre de l'enquête sur l'enlèvement des deux pilotes de la Turkish Airlines. 

=> Incendies en Turquie
Plusieurs centaines d'hectares de forêt ont été détruits ce week-end, à travers la Turquie, après que plus d'une vingtaine de feux se sont déclarés. Les forêts de Dalaman et de Fethiye ont été les plus touchées. Trois cents hectares d'arbres ont brûlé dans la première, et 70 dans la seconde.

mercredi 14 août 2013

TURQUIE: 13 AOÛT – En 4 minutes, ce qu'il faut retenir de l'actualité

voici les titres sélectionnés par lepetitjournal. Pour lire l'intégralité des articles: Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbulmardi 13 août 2013

=> Enlèvement au Liban : un suspect arrêté
Selon l'Associated Press, les autorités libanaises détiendraient depuis dimanche soir un homme suspecté d'être impliqué dans le kidnapping des deux pilotes d'avion turcs de la compagnie Turkish Airlines. 

=> Un député AKP souligne les "erreurs" d'Erdoǧan dans sa gestion de la crise du parc Gezi
Un rapport publié par l'Eurasia Global Research Center (AGAM), un groupe de travail dirigé par le député AKP İdris Bal, affirme que Reycep Tayyip Erdoǧan a été mal conseillé au moment du mouvement de contestation de la place Taksim. 

=> "L'alcool n'est pas ton ami"
Dans moins de 10 mois, toutes les bouteilles d'alcool devront comporter des images alertant des dangers de l'alcool pour les mineurs, les femmes enceintes et les conducteurs. 

=> Procès Ergenekon : un général se rend à la police pour purger sa peine
Le général Tuncer Kılınç, condamné à 13 années de prison dans le cadre de l'affaire Ergenekon, s'est rendu à la police hier matin. 

=> La bonne santé de la production turque
L'Institut turc des statistiques (TÜIK) a publié hier un rapport soulignant la croissance de la production turque ces derniers mois. 

=> Fetullah Gülen reçoit le prix Manhae de la paix
L'intellectuel turc musulman Fetullah Gülen, connu pour ses appels au dialogue interconfessionnel, a reçu dimanche le prestigieux prix Manhae de la paix, remis chaque année par la fondation sud-coréenne du même nom. 

lundi 12 août 2013

TURQUIE: 12 AOÛT – En 4 minutes, ce qu'il faut retenir de l'actualité

Bonjour! Contrairement aux années précédentes, lepetitjournal.com d’Istanbul ne part pas complètement en vacances en août. Notre équipe continue de vous préparer, chaque matin du lundi au vendredi, un résumé de l'actualité en Turquie. Notre engagement : en quatre minutes – le temps de siroter votre thé ou votre café – découvrez les grands titres du jour et les infos que vous avez pu manquer la veille. Voici donc notre sélection des principaux événements du week-end.

=> Deux citoyens turcs enlevés au Liban
Deux employés turcs de la compagnie Turkish Airlines ont été kidnappés au Liban, tôt dans la journée du vendredi 9 août...... lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

=> Procès Ergenekon : le général İlker Başbuğ en appelle au chef d'état-major
L'ancien chef d'état-major de l'armée turque, le général İlker Başbuğ, condamné le 5 août dernier à la prison à vie dans le cadre du procès Ergenekon, a appelé l'actuel chef de l'armée, le général Necdet Özel, a sortir de son silence à propos des condamnations qui ont frappé plusieurs haut-gradés.......  lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

=> Deux personnes décèdent au cours du désossage d'un bateau de croisière
Deux personnes sont décédées samedi après avoir inhalé du gaz toxique alors qu'elles participaient au démontage d'un bateau de croisière, le MS Pacific......  lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

=> Aïd el-Fitr sanglant sur les routes de Turquie
Hier, le quotidien Hürriyet Daily News a rapporté que les accidents de la route pendant les trois jours de l'Aïd el-Fitr, qui célèbre la fin du Ramadan, avaient coûté la vie à 42 personnes, et en avaient blessé 273 autres. De son côté, Today's Zaman a fait état d'un bilan encore plus dramatique en parlant de 70 victimes et de 410 blessés...... lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

=> Des locaux de l'AKP victimes d'une attaque à la bombe sonore
Les locaux de l'AKP (Parti de la justice et du développement) du quartier stambouliote de Kartal ont été endommagés par l'explosion, dans la nuit de samedi à dimanche, d'une bombe sonore qui n'a fait aucun blessé....... lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

=> Un écrivain cible d'un boycott pour avoir défendu le rakı
Ahmet Ümit, l'écrivain de polars à succès, est la cible d'un boycott pour avoir pris position contre le vice-Premier ministre turc, Bülent Arınç, qui avait défendu à un musicien d'interpréter une chanson parce qu'elle contenait le mot "rakı". "Si vous retirez le rakı de nos vies, ni les conversations joyeuses, ni les soirées,[...] ni l'amour ne survivront", avait tweeté l'écrivain..... lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbullundi 12 août 2013

lire la suite sur Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbul) lundi 12 août 2013

mardi 16 juillet 2013

"PROJETS FOUS", 2/4 – Marmaray et Avrasya : des tunnels sous le Bosphore

Nous continuons notre série consacrée aux grands travaux urbains que le gouvernement de l'AKP (Parti de la justice et du développement) entreprend à Istanbul. La semaine dernière, nous analysions le projet d'un troisième pont pour faire diminuer le trafic. Dans la même optique, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a lancé le percement de deux tunnels sous le Bosphore : Marmaray et Avrasya.
L'idée de percer un tunnel sous le Bosphore n'est pas nouvelle, elle remonte même à 1860. "Marmaray" (rail/voie ferrée de Marmara) est le premier projet qui vient concrétiser cette idée. Il s'agit d'un tunnel long de 13,6 km, dont 1.387 m sous le Bosphore, destiné au transport ferroviaire. Le chantier a commencé le 27 août 2004, il est aujourd'hui presque achevé. L'ouverture de la liaison ferroviaire de 6,5 km entre les rives asiatique (terminus à Söğütlüçeşme) et européenne (terminus à Yedikule) est prévue pour le 29 octobre 2013, les 90 ans de la République.
Il s'agit du tunnel de ce type le plus profond au monde, à 60 m sous la surface. Le contrat de trois milliards d'euros a été confié au groupe japonais Taisei, en coopération avec l'entreprise turque Gama-Nurol. Les mesures de sécurité doivent permettre au tunnel Marmaray, situé à moins de douze miles de la grande faille anatolienne, de résister sans dommage à un séisme de 7,5 sur l'échelle de Richter. Après l'ouverture de la ligne, les trains rouleront à une vitesse de 60 km/h et mettront 18 minutes à traverser le détroit. Haluk Gerçek, professeur à l'Université Technique d'Istanbul, cite des prévisions du nombre quotidien de voyageurs : 1,2 million en 2020, 1,8 million en 2030, ce qui devrait représenter à cette date 25% des traversées entre les deux rives. Le gouvernement s'appuie sur ces éléments pour prévoir une baisse du trafic.
Avrasya : une autoroute sous le Bosphore
Toujours dans l'optique de faire diminuer le trafic urbain, un autre tunnel est prévu. Le projet "Avrasya Tüneli" (Tunnel Eurasie) consiste en une autoroute sous le détroit. Localisé à 1,8 km au sud de Marmaray, cet axe routier devrait relier Kazlıçesme et Göztepe. Les promoteurs du projet mettent en avant les effets du tunnel Avrasya sur la durée de ce trajet en voiture : actuellement de 100 minutes en passant par le pont du Bosphore, elle passerait à 15 minutes.
La construction a été lancée le 26 février 2011, son coût est estimé à 1,1 milliard de dollars. Le ministère des Transports l'a confiée au consortium turco-sud coréen "ATAŞ-Avraysa Tunnel Construction". La gestion du tunnel lui reviendra pour les 26 prochaines années, avant de passer à l'État. Le chantier devrait s'achever en 2015. A cette date, le droit d'entrée pour les voitures sera de 8 livres turques (3,16 euros) et 11 livres turques (4,35 euros) pour les véhicules plus important tels les minibus. L'accès au tunnel sera interdit aux bus et aux camions.
Le développement du réseau ferré
La voie ferrée Marmaray fait l'objet d'un relatif consensus parmi les experts. Orhan Demir, professeur aux universités technique d'Istanbul et Mimar Sinan, trouve particulièrement positif qu'elle encourage les déplacements par rail. Selon les chiffres cités dans le documentaire Ekümenopolis, le pourcentage de ces déplacements dans le total des transports en commun est aujourd'hui à Istanbul de 10%, contre 87% à Paris et 96% à Tokyo. Néanmoins, Haluk Gerçek déplore la localisation choisie pour le percement du tunnel, très au sud de la métropole stambouliote, près de la péninsule historique : "Un point négatif du projet Marmaray est la difficulté qu'il va y avoir à le relier aux lignes de banlieue, qui se développent surtout au nord de la ville. De plus, il va entraîner une pression sur la péninsule historique," explique-t-il au petitjournal.com d'Istanbul.
Inquiétudes pour la péninsule historique
Dans un article paru en 2011, le quotidien Today's Zaman faisait état de critiques similaires à l'endroit du projet de tunnel autoroutier Avrasya. Certains s'inquiètent de ses effets négatifs, en termes de trafic, de pollution et de nouvelles constructions, près de sites classés au patrimoine mondial de l'UNESCO : les mosquées Aya Sofya, Sultanahmet, le palais de Topkapı, la Citerne Basilique... Les opposants au projet citent l'exemple de gratte-ciel bâtis le long d'une route à Zeytinburnu, qui portent atteinte à la silhouette de la péninsule historique.
Le professeur Orhan Demir prévoit un développement similaire autour d'un nouveau réseau routier au cœur même de la péninsule historique, qui sera rendu nécessaire par le tunnel Avrasya : "Le principal problème au niveau du trafic est que les principaux pôles d'emploi et de logements se situent entre les deux premiers ponts. Ce que j'appelle le corridor d'attraction se situe au niveau de Mecidiyeköy, Levent et Ataşehir. Pour relier ces pôles par le tunnel Avrasya, un nouveau trafic va apparaître au sud. Le contournement du trafic des deux ponts va s'effectuer par la péninsule historique, et entraîner la construction d'axes routiers près des sites ou bloquer l'accès à la mer."
Impact sur divers environnement
Dans un rapport daté de mai 2011, la branche stambouliote de la Chambre des Urbanistes pointait les conséquences qu'aurait la construction de gaines de ventilation des deux côtés du tunnel Avrasya, afin d'évacuer le gaz émis par les véhicules. Il est prévu que ces gaines mesurent 5 m de hauteur. Or, selon ce rapport, pour évacuer correctement le gaz émis dans le tunnel, une hauteur de 35 m serait requise. Cela serait très visible aux côtés des monuments et panoramas déjà existants (voir image ci-dessous, qui localise, au niveau de la péninsule historique, en rouge la gaine de 5 m, en marron celle de 35 m). Bien que les craintes concernent aussi un regain de pollution, l'autoroute Avrasya n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact environnemental, à la demande en 2007 du ministère de l'Environnement.
Une prise de décision centralisée
A l'origine de ce projet se trouve le raisonnement suivant: la population d'Istanbul va passer de 12 millions en 2007 à 17 millions en 2015 puis 22 millions en 2023. Cela implique plus de trafic sur le Bosphore, d'où la construction de nouvelles infrastructures. La Direction de l'urbanisme de la Municipalité d'Istanbul Métropole ne partage pas cette conclusion dans son "Rapport d'Évaluation du Projet Avrasya". Elle prévoit que le tunnel encouragera les Stambouliotes à davantage utiliser leur voiture dans une ville où le trafic et la pollution sont déjà très importants.
Le projet ne figurait pas dans le plan directeur des transports approuvé par la municipalité en 2009, mais il y a été ajouté par le ministère des Transports en 2011. Jean-François Pérouse, directeur de l'Institut Français à Istanbul, détaille dans un texte consacré aux projets urbains cette centralisation de la part du gouvernement de l'AKP : "La transformation est conduite par le centre politique, pour les intérêts de celui-ci, en court-circuitant les mécanismes locaux de prise de décision et de contrôle." Cela est encore plus le cas pour des projets localisés en dehors d'Istanbul et qui relient la ville au reste du monde, par exemple celui d'un deuxième Bosphore. Ce sera le prochain sujet de notre série.
Joseph Richard (http://lepetitjournal.com/istanbul) mardi 16 juillet 2013

lundi 15 juillet 2013

HATİCE ALTINIŞIK – "Les Alévis doivent être présents sur le terrain politique"

Le gouvernement de l'AKP (Parti de la justice et du développement) a récemment annoncé une nouvelle ouverture en direction de la minorité alévie. Cette annonce correspond aux 20 ans des événements de Sivas et suit de peu la crise du Gezi Parkı. De nombreux alévis s'étaient engagés dans le mouvement. Afin de comprendre cet engagement et la réalité de l'alévisme dans la Turquie d'aujourd'hui, nous avons interviewé une personnalité importante du militantisme alévi, Hatice Altınşık.
Lepetitjournal.com d'Istanbul : pouvez-vous présenter votre action militante ?
Hatice Altınşık (photo personnelle): Durant environ 20 ans, j'ai travaillé avec presque toutes les organisations alévies, dans un premier temps avec la Pir Sultan Abdal Derneği. Récemment je travaillais avec la Fédération Alévi Bektaşı. Mon combat a commencé avec le massacre de Sivas en 1993, et a continué avec les demandes des alévis pour la construction de cemevi ("maison du cem", lieux de culte des alévis, ndlr). D'autres demandes consistent en un statut légal pour les cemevi, la fin de l'obligation des cours obligatoires de religion, plus d'égalité au sein du Diyanet (Direction des affaires religieuses, rattachée au bureau du Premier ministre, ndlr) etc. J'ai été parmi ceux qui ont contesté en 2006 l'obligation des cours de religion (enseignement centré sur l'Islam sunnite, ndlr).
Pendant cette période, j'ai rencontré Kerem Altıoklar, de l'Université d'Ankara. Je lui ai demandé si il était possible que mon fils ne suive pas de cours de religion. Les professeurs de l'Université de Marmara m'avaient affirmé que cela n'était pas possible. Mais Kerem hoca m'a conseillé d'essayer et nous avons formulé notre demande. J'ai envoyé une pétition au préfet. Elle a été rejetée par le tribunal administratif. Je n'ai jamais accepté cette décision. Après que les médias ont parlé de mon initiative, elle a eu des conséquences sur les notes et la scolarité de mon fils. Ils le punissaient.
D'autres initiatives de ce genre ont suivi en 2007, et au fur et à mesure les ONG alévies se sont emparées du sujet. J'ai été avec l'ensemble d'entre elles, sauf la Fondation Cem et la Fondation Ehl-i Beyt. Après 20 ans de ce combat, j'ai compris que cela ne pouvait se régler simplement avec les organisations alévies. Cela devait passer dans la sphère politique. Car toutes nos demandes sont politiques. Elles nécessitent des réformes constitutionnelles. J'ai donc décidé de travailler également avec d'autres groupes qui feraient face aux mêmes problèmes. En ce moment j'essaie de créer une fédération qui ne soit pas un parti. Je m'y investis avec mon identité alévie.
Quelles sont les principales caractéristiques des organisations alévies en Turquie ?
Toutes ont les mêmes demandes. Mais certaines ont été fondées par l'État, par exemple Cem Vakfı. Leur but est la construction d'un nouveau modèle d'alévisme, qui soit fidèle au gouvernement et se limite à l'identité turco-musulmane. Ils veulent détruire ce qui s'oppose à cette homogénéisation via leurs propres associations, comme également Ehl-i Beyt Vakfı. Récemment, avec "l'ouverture alévie" (en 2009), plusieurs groupes ont été fondés par l'AKP. Cela est le cas de la Fédération Alevi Bektaşı d'Anatolie. Son objectif était uniquement la mise en application de l'ouverture alévie. Il s'agit de fausses organisations alévies.
En dehors d'elles, il y a de très nombreuses associations. J'essaie de m'y impliquer, car elles comptent généralement très peu de femmes. Cela contredit l'esprit de l'alévisme, selon lequel les hommes et les femmes sont égaux. Mais en fait, peu de personnes connaissent l'alévisme car l'éducation alévie a été marginalisée. La responsabilité en incombe aux alévis eux-mêmes, mais également au gouvernement.
Il est difficile de recenser toutes les organisations. Par exemple Pir Sultan Abdal Derneği ne compte pas moins de 300 branches. En tout, je dirais qu'il y a entre 450 et 500 associations, en mettant de côté les "fausses" que je vous ai citées. Mais il y a également beaucoup de groupes locaux. En les incluant, ce serait plutôt entre 3.000 et 4.000, sans compter ceux présents en Europe. Nous pouvons dire que les alévis sont attachés aux organisations et aux regroupements de manière générale.
Que signifie "être Alévi" ?
Notre façon de voir l'alévisme diffère de celle du gouvernement. Il met l'accent sur la dimension religieuse et veut le transformer en un dogme, avec des règles qui soient en accord avec les autres conventions de l'Islam. Nous voyons l'alévisme comme une croyance et une culture. Notre combat est de protéger sa version originale, dont l'expression est le concept de "doğa tanrı" (dieux de la nature) : nous respectons toutes les choses vivantes sur terre, et nous les regardons comme dieu lui-même.
Nous disons "je suis le dieu et j'ai le dieu", cela est dans toutes les chansons de l'alévisme. L'apparition des croyances alévies en Anatolie est bien antérieure à l'Islam, autour de 8.000-9.000 avant J.C, au temps des Hittites. La vision de l'alévisme comme faisant partie de l'Islam est une invention de la République. Dans les fatwas de l'Empire ottoman les alévis sont condamnés comme des non-musulmans. L'alévisme est une croyance très ancienne, qui est très attachée aux choses de la terre, leur accorde une grande valeur, et selon laquelle chaque être humain est divin. Cette dernière idée est résumée dans cette expression alévie : "je tiens le miroir dans ma main et je vois Ali".
J'ai beaucoup voyagé en Anatolie. Il y a une différence entre l'alévisme et les bektaşı. Si vous êtes né au sein d'une famille alévie, vous êtes alévi. Les bektaşı sont ceux qui décident d'adopter cette philosophie. Une turcologue française faisait par exemple des recherches sur les alévis, et elle a décidé de devenir bektaşı. Ces deux croyances considèrent les quatre éléments comme sacrés. Nous n'acceptons pas les chasseurs au cem (rituel religieux de l'alévisme, ndlr). Cela n'est pas une activité d'alévi. De même avec la famille de quelqu'un qui s'est suicidé, car il enlevé la vie à un dieu. La famille peut se retrouver isolée pour un temps, cela est notre plus sévère punition.
Que pouvez-vous dire à propos de la représentation des Alévis au sein des quatre principaux partis ?
Cela ne se chiffre pas par le nombre d'alévis, mais par la prise en compte de nos demandes. Il n'y a qu'un seul député alévi dans les rangs de l'AKP, Ibrahim Yiğit. Au CHP, quatre ou cinq. Ils ne sont pas à l'Assemblée en tant qu'alévis mais que membres de leur parti. Leur identité alévie n'est pas importante, puisqu'ils ne parlent pas plus des problèmes que les autres députés. Au contraire, le BDP a fait des propositions en faveur d'une discrimination positive pour les minorités. Les trois autres partis les ont repoussées.
Le CHP (Parti républicain du peuple, principal parti d'opposition, ndlr) ne représente pas les alévis. Le BDP (Parti de la paix et de la démocratie, parti d'opposition, pro-kurde) jouerait davantage ce rôle en portant les demandes de groupes minoritaires. Ses députés travaillent activement pour les droits des alévis. Mais ce n'est pas assez. Il devrait y avoir une représentation en accord avec la réalité de la population. Par exemple, il n'y a qu'un seul député syriaque, aucun arménien. Si la Constitution et le système politique permettaient une égalité entre tous, nous n'aurions pas besoin de cette représentation culturelle.
Par exemple, nous devrions utiliser "kızılbaş" (“tête rouge”, terme qui date de l'époque ottomane, ndlr) pour parler de certains groupes alévis. "Alévi" est un nom nouveau donné par l'État après que "kızılbaş" soit devenu un terme péjoratif et discriminant, à la fin de l'Empire ottoman. J'arrêterai de le rappeler le jour où je constaterai une égalité réelle avec le reste de la population, quand nos droits seront reconnus.
Alors, un "parti alévi" ?
Je ne pense pas que nous devrions avoir un parti alévi car nous ne sommes pas la seule communauté qui doit faire face à la pression du gouvernement : il y a les Arméniens, les Grecs, les Circassiens, les gitans, les Kurdes... Nous sommes tous mis sous pression par le même gouvernement. Il devrait y avoir quelque chose qui englobe tous ces groupes. Si aujourd'hui il y avait un parti alévi au pouvoir qui impose ses croyances et valeurs, je m'opposerai à lui. Cela n'est pas démocratique. Et cela irait à l'encontre de la philosophie de l'alévisme qui repose sur l'ouverture à tous. Malheureusement nous l'oublions parfois. Je pense qu'il est préférable d'avoir un parti au sein duquel chacun sera l'égal de l'autre et aura les mêmes droits, au-delà des origines individuelles.
Quid du CHP, parfois décrit comme le "parti des alévis" ?
Le CHP est un parti autoritaire et étatique. Il n'accepte pas l'altérité, alors qu'il y a une trentaine de communautés qui vivent en Anatolie. Il est impossible de voir le CHP comme le "parti des alévis", même si le leader en est depuis 2010 Kemal Kılıçdaroğlu, kurde et alévi. Les députés kémalistes votent contre toute discrimination positive en faveur des minorités, alévie ou autre. Le CHP a une mentalité étatique, ils veulent construire des citoyens pour l'État, point. Beaucoup d'alévis votent pour ce parti du fait de l'opposition entre laïcs et anti-laïcs. Les alévis ont peur de la charia. Et le gouvernement ne manque pas de les encourager à voter CHP. Mais je pense que ce vote ne résisterait pas à la création d'un parti qui engloberait le combat de toutes les minorités, pour la démocratie et les libertés.
Que pensez-vous de l'annonce récente de la part de l'AKP d'une nouvelle "ouverture alévie", après le précédent de 2009 ?
La première fois que l'AKP a proposé une feuille de route, nous avons hésité et beaucoup discuté à propos de notre participation ou non. Finalement, nous avons pensé qu'ils voulaient véritablement nous entendre, et qu'il s'agissait d'une occasion historique. Toutes les organisations se sont mises d'accord sur un certain nombre de demandes. Elles ont été envoyées au gouvernement. Mais beaucoup des conférences et ateliers qui ont été organisés n'incluaient pas d'alévis. Et dans le rapport final il n'y avait pas un mot à propos de nos demandes, cela n'avait rien d'une ouverture alévie. Ils voulaient uniquement contrôler, façonner et conditionner l'alévisme via l'Islam sunnite. Je ne crois pas à leur sincérité, comme beaucoup d'alévis. (voir cet article de Hürriyet Daily News)
Quelle a été la place des alévis, individus et organisations, dans le mouvement Gezi ?
Nous avons bien sûr été nombreux à être présents. Pir Sultan Abdal Kültür Derneği avait une plate-forme dans le parc jusqu'à l'intervention de la police. Une des principales raisons était le choix du nom pour le troisième pont sur le Bosphore. Yavuz Sultan Selim a massacré au début du XVIe siècle des dizaines de milliers d'alévis bektaşı, de manière systématique. Il n'est pas le seul à s'être livré à ces tueries, mais il en est un symbole. Essayez d'imaginer des alévis ayant cela en tête en traversant ce pont.
Nous avons donc manifesté, avec d'autres. Cela était l'élément le plus frappant du mouvement. Des groupes "d'autres" qui se rassemblent pour quelque chose en commun constituent la base de la démocratie. Cette image de Gezi, c'est l'alévisme même. Si une personne est blessée je devrais m'inquiéter pour elle. Le mouvement Gezi représente la philosophie alévie, celle des "autres".
C'est pour continuer ce combat qu'à présent je travaille avec le HDK, Halkların Demokratik Kongresi(Congrès Démocratique du Peuple), qui rassemble toutes les minorités. Le congrès compte 45 partis et associations. Nous préparons des propositions à envoyer ensuite au Parlement. C'est là que nous devons être présents, sur le terrain politique.
Propos recueillis par Joseph Richard (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 15 juillet 2013

mercredi 10 juillet 2013

L’AKP a préparé un CD sur le « grand complot » visant la Turquie

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Le bureau de communication du Parti de la justice et du développement (AKP) a préparé un CD de 28 minutes dans lequel il montre comment les manifestants ont attaqué les biens publics et privés.
« Certains ont voulu que le feu prenne à Istanbul et que cet incendie embrase tout le pays ». C’est l’explication des évènements du parc Gezi données par le gouvernement dans un CD de 28 minutes.
« On voit que certains ont essayé d’éteindre la lumière de l’étoile montante du monde qu’est la Turquie. Ils ont voulu remettre sur scène leur complot que l’on connait déjà », apprend-on dans la vidéo.
Si les manifestations semblent être parties de l’information selon laquelle « quelques arbres » allaient être abattus, il n’en est rien explique cette vidéo, car le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises que les arbres n’allaient pas être arrachés, mais simplement changer de place.
« Ce sont les lobbys de la finance qui sont derrière ces jeux et qui veulent mettre en place les scénarios qui les convient lorsque leurs intérêts sont remis en cause. Ils sèment alors le chaos, ils poussent les gens à descendre dans les rues pour qu’ils détruisent tout », explique la vidéo.
Elle fait également référence à certains médias nationaux et étrangers qui font fi des évènements positifs survenus en Turquie, et qui cherchent toujours à déformer les réalités. Des images des rassemblements de soutien à l’AKP tenus à Ankara et Istanbul ont été rajoutées dans ce CD.
Date de l'information : 26 Juin 2013 10:35

lundi 17 juin 2013

RÉPONSE À GEZI – Erdoğan s'exprime devant ses partisans

Comme une démonstration de force adressée aux opposants de la place Taksim, le Premier ministre turc a donné ce week-end deux meetings géants, réunissant des centaines de milliers de personnes. Sur place, les partisans étaient conquis.
Des hommes dans la force de l'âge. Des femmes voilées, dans leur grande majorité, et d'autres qui ne le sont pas. Mais aussi quelques jeunes en jean et baskets. Tel était le profil des dizaines de milliers de personnes qui se sont rendus hier, sur la place de Kazlıçeşme à Istanbul, pour assister au meeting du leader de l'AKP, Recep Tayyip Erdoğan.
La veille, un rassemblement similaire avait eu lieu à Ankara. Le Premier ministre avait alors lancé un nouvel ultimatum aux occupants du parc Gezi."Nous avons une réunion publique demain à Istanbul. Je le dis clairement: si Taksim n'est pas évacuée, les forces de sécurité de ce pays sauront comment l'évacuer".
Photo akparti.org
Deux heures plus tard, la police intervenait à grand renfort de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Rien de choquant pour les militants rassemblés hier à Istanbul. "Ils étaient obligés. Les gens [dans le parc Gezi] nous bloquent. Quand on vous empêche de passer quelque part, vous appelez la police. Donc c'est normal qu'elle intervienne", s'indigne Fikret, un ingénieur informatique de 27 ans. Plus tempéré, un membre des Jeunes de l'AKP estime pour sa part que"la première intervention était démesurée. Mais les choses ont changé depuis."
Dimanche soir, Erdoğan a déclaré que l'évacuation du parc était "un devoir". "C'était devenu insupportable" a-t-il ajouté.
"Erdoğan est un démocrate !"
Fidèle à la ligne tracée par leur leader, les partisans de l'AKP considèrent que les violences qui secouent la Turquie depuis plus de deux semaines sont à mettre à l'actif des “vandales” du parc du Gezi. "La plupart d'entre eux sont des anarchistes qui veulent la destruction de la République. Et contrairement à ce que racontent les médias internationaux, Erdoğan est un démocrate", lâche Ümit, 24 ans, également ingénieur informatique. "Il faut pas inverser les rôles", embraye Mustafa, étudiant en sciences politiques. "Le gouvernement n'a pas de problèmes avec les protestations tant qu'elles sont faites dans le respect de la démocratie. Mais des manifestants ont lancé des cocktails Molotov sur la police !"
Dans la même logique, la question très débattue de l'islamisation de la société turque est balayée d'un revers de main."L'islamisation est agitée par les gens de la place Taksim pour faire parler d'eux dans les médias internationaux. Mais ce n'est pas ce qui est en train de se passer en Turquie", explique Mustafa Moins mesuré est le jugement Fikret : "Nous sommes musulmans. Nous croyons au Coran, nous croyons au prophète Mahomet. Donc quand tu crois à la religion, c'est normal de la respecter."
Succès économiques”
Tous ont également tenu à souligner la gestion économique de leur champion. "Il n'y a qu'à voir ce qu 'était le pays il y a 10 ans, et ce qu'il est maintenant", s'enthousiasme l'un d'entre eux. Comme ses militants, le gouvernement ne manque jamais une occasion de s'enorgueillir de sa croissance vigoureuse. "Vous avez un appel d’offres de 65 milliards de dollars pour la construction d’une centrale nucléaire et un aéroport le même jour, [et] une Turquie qui a effacé ses dettes auprès du FMI, dont la note de crédit a augmenté", indiquait il y a encore quelque jour au Hürriyet Daily News Ahmet Davutoğlu, le ministre des Affaires étrangères. Cependant, ce ciel radieux est quelque peu terni depuis le début du mouvement de contestation. En deux semaines, le cours de la Bourse turque a chuté d'environ 10%. Samedi soir à Ankara, Erdogan s'en est une nouvelle fois pris aux spéculateurs étrangers, accusés de profiter de la situation pour mettre à mal l'économie du pays, qui est par ailleurs passée d'un taux de croissance de 8,5% en 2011, à 2,2% en 2012.
Mais cela n'ébranle en rien la confiance de ses supporters. "Je sais qu'il va encourager le développement économique" confie Özgün, un étudiant en informatique.Sourire aux lèvres, il ajoute : "Je veux qu' Erdoğan continue à faire du Erdoğan."
Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbul) lundi 17 juin 2013

vendredi 19 avril 2013

caricatures:Réactions politiques à la condamnation du pianiste Fazıl Say

Les réactions se multiplient depuis la condamnation, lundi, du pianiste Fazıl Say à 10 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Tandis que plusieurs ministres semblent regretter le verdict, de hauts responsables de l’AKP donnent raison aux juges. Les hebdomadaires satiriques Penguen et Leman s’emparent du sujet.
Fazıl Say était poursuivi au titre de l’article 216 du code pénal, lequel punit le fait “de dénigrer publiquement les valeurs religieuses d’une partie de la population.” L’acte d’accusation reprenait une série de propos publiés sur le compte Twitter de l’artiste : des vers attribués au poète persan Omar Hayyam, qui se demandait au 12ème siècle si le paradis était une taverne ou un bordel ; plusieurs tweets proclamant l’athéisme du pianiste ou encore un message dans lequel il déclarait : "Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus mais dès qu’il y a un lèche-botte, un médiocre, un voleur, un bouffon, c’est toujours quelqu’un qui croit en Allah".
“Omar Hayyam, sois raisonnable !
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Oh l’insulte !”
Reconnu coupable par un tribunal d’Istanbul, le virtuose turc a écopé de dix mois de prison, qu’il ne purgera qu’en cas de nouvelle condamnation dans un délai de cinq ans. Dans les motifs de sa décision publiés hier, la cour explique que l’objectif du musicien était “d’humilier les valeurs religieuses”.
"Je suis désolé pour mon pays", a réagi l'artiste après l’annonce de la sentence. "Je suis plus inquiet pour l'état de la liberté d'expression et de croyance en Turquie que je ne le suis pour ma propre condamnation", a-t-il ajouté sur sa page Facebook. De nombreuses voix se sont élevées, en Turquie et à l’étranger, pour soutenir Fazıl Say. La Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, s'est dite "préoccupée", soulignant "l'importance pour la Turquie de respecter pleinement la liberté d'expression". Dans une résolution sur le rapport de suivi 2012 de la Turquie adoptée hier, les députés européens appellent Ankara à "multiplier les efforts visant à garantir la liberté d'expression, la liberté des médias et toutes les autres libertés fondamentales conformément aux valeurs de l'UE."
Du silence à l’approbation
La condamnation du pianiste semble mettre mal à l’aise une partie du gouvernement. Le Premier ministre Erdoğan a refusé de s’exprimer, priant les journalistes de ne pas lui faire “perdre son temps” avec cette affaire. Egemen Bağış, ministre en charge des Affaires européennes, a été plus disert : “Nous ne pouvons pas nous réjouir du fait que Fazıl Say ou un autre de nos citoyens soit jugé pour ses propos ou ses opinions”, a-t-il réagi, regrettant même que les juges n’aient pas considéré son cas dans le cadre de la “liberté de dire n’importe quoi”.
D’autres à l’AKP (Parti de la justice et du développement) ont au contraire salué la condamnation du pianiste. Le ministre de la Culture et du Tourisme, Ömer Çelik, a estimé que les propos de Fazıl Say n’entraient pas dans le champ de la liberté d’expression. Tout juste a-t-il concédé que l’ouverture d’un procès pénal – et non civil – dans ce genre d’affaire pouvait être débattue.
Hüseyin Çelik, le porte-parole de l’AKP, s’est emporté contre ceux qui critiquent la condamnation, soulignant que “la loi est la même pour tous (…), célèbre ou pas” et affirmant que Fazıl Say n’avait pas été condamné pour avoir exprimé ses idées mais pour avoir proféré des insultes. Quant au numéro 2 de l’AKP, Mehmet Ali Şahin, sa réaction n’est pas passée inaperçue: “Cette personne (Fazıl Say, NDLR) a un père et une mère. Il a déclaré que son père était croyant. Il a donc traité son père et sa mère de lèche-botte! Nous ne disons rien de son athéisme, qu'il respecte ceux qui croient.”
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 19 avril 2013

mardi 26 février 2013

Les islams de Turquie


ENTRETIEN AVEC ÉLISE MASSICARD – 

Élise Massicard est pensionnaire scientifique spécialisée en sociologie politique à l’IFEA, directrice de l’OVIPOT (Observatoire de la Vie Politique Turque) et corédactrice en chef du blog de l’Observatoire. Au cours d’un entretien, elle a accepté de nous éclairer sur les différents islams présents et pratiqués en Turquie.
Lepetitjournal.com d’Istanbul : On entend souvent dire que la population turque compte 99% de musulmans. Que vous inspire cette réflexion ?
Élise Massicard (photo FF): Cette assertion met l’accent sur le faible poids démographique des groupes non-musulmans reconnus comme tels. Elle n’est pas fausse, mais elle donne l’impression d’un pays religieusement homogène. Or, l’islam de Turquie est divers et foisonnant, et cette diversité est parfois aussi divergence.
Pour parler des différents islams de Turquie doit-on employer les termes de “branches de l’islam”, “formes d’islam”, “écoles coraniques” ?
Je préfère parler de “formes d’islam”, ou des “différents islams”. Même ces termes sont trop restrictifs parce que, par exemple, au sujet de l’alévisme, l’appartenance à l’islam est controversée.
Quels sont les différents islams de Turquie ?
Le sunnisme :
- l’islam majoritaire est issu de l’école coranique hanafite. C’est aussi le cas de l’islam porté par les institutions d’Etat – celui qui est enseigné à l’école, dans les mosquées, correspond au calendrier national etc. – l’islam “officiel” en quelque sorte,même s’il n’est pas assumé comme tel puisqu’il n’y a pas de religion d’Etat. Il se veut moderniste, rationaliste et national. Pourtant, les imams sont des fonctionnaires, nommés par le Diyanet (Direction des affaires religieuses, ndlr). S’il ne couvre pas l’ensemble de la population turque, il reste le courant majoritaire.
- l’islam issu de l’école coranique chaféite, n’est pas aussi répandu. Mais les différences avec l’école hanafite ne sont pas énormes (le nombre de jours du bayram,…).
Dans un autre ordre de distinction, l’islam de Turquie est marqué par une grande importance des confréries. Plusieurs groupes confrériques traditionnels et néo-confréries se rattachent au sunnisme :
- Dans les confréries traditionnelles, on compte les Nakshibendi, les Kadiris, les Rifa’i… Elles sont caractérisées par l’initiation, des pratiques mystiques et pour certaines, extatiques (musique, danse).
- Les néo-confréries, comme les Nurcu et les Fethullaçı, sont généralement issues des confréries traditionnelles, mais elles sont plus récentes. Leurs pratiques sont moins mystiques, moins extatiques. Ces groupes se réunissent autour de lectures de textes et sont très impliqués dans des activités éducatives et culturelles, mais aussi dans les médias. Leur influence est importante. Pour les Fethullahçı, par exemple, on pense qu’ils sont plusieurs millions d’adeptes.
Le chiisme :
- Le chiisme azéri, dit djafari, concerne entre 1 et 1,5 million de personnes, issues pour la plupart du nord-est de la Turquie (Kars). Il s’apparente à celui de l’Iran, c’est-à-dire duodécimain.
- Le rapport à l’islam de l’alévisme est, quant à lui, controversé. Le lien à l’islam chiite tient notamment à des pratiques dont la vénération d’Ali et des 12 imams, ainsi que le jeûne du Muharrem. Mais dans le culte alévi, il y a aussi des éléments que l’on a du mal à rattacher à l’islam comme par exemple les dignitaires religieux, ici héréditaires. Quant aux femmes, leur place est souvent idéalisée dans l’alévisme et ce rapport égalitaire ne se vérifie pas toujours. Les groupes alévis sont diversifiés – ceux de l’Est sont plus conservateurs, d’autres pratiquent le culte commun aux hommes et aux femmes. Mais dans l’ensemble, elles sont moins voilées que les sunnites, et le divorce est interdit (ce qui peut-être interprété de manière positive ou non). Les alévis refusent les cinq piliers de l’islam : ils ne jeûnent pas pour Ramadan mais pour Muharrem et ne prient pas dans les mosquées, car ils considèrent que la prière doit être intérieure. Pour eux, le Coran tel qu’on le connaît a été modifié et son interprétation est discutable. Ils ont un rapport plus ésotérique envers le Coran, moins “à la lettre”. Ils sont en majorité turcophones, mais on compte aussi beaucoup de kurdophones, et un petit groupe est arabophone alaouite (plus proche de la Syrie, le sud et la Cilicie) – leur culte se rapproche de celui des Alaouites de Syrie. Avant l’exode rural, c’est-à-dire dans les années 1960, les alévis n’avaient pas vraiment de lieu de culte différencié ; d’ailleurs, ils ne suivent pas nécessairement le principe d’une cérémonie hebdomadaire. Comme leur religion était clandestine, leurs rassemblements se déroulaient dans de grandes maisons à l’abri des regards. Aujourd’hui encore les cemevi, qui entre-temps ont fleuri dans les grandes villes, ne sont pas reconnus comme des lieux de culte. Ils ont donc le simple statut d’association. En règle générale, les alévis sont considérés par les autorités comme des musulmans “égarés” qui devraient fréquenter les mosquées, même si on leur reconnait quelques spécificités uniquement sur le plan culturel. Le diyanet se donne pour mission de les remettre sur la bonne voie, ce que la majorité des alévis perçoit comme de l’“assimilation”.
Qu’en est-il des salafistes, soi-disant à la conquête du monde musulman ?
Il existe en effet en Turquie des fondamentalistes proches d’Al-Qaïda, mais ils sont peu nombreux et leur influence est très limitée. En outre, le Diyanet veille sur les publications à caractère religieux.
A quels partis politiques peut-on associer ces différents groupes religieux ?
On ne peut pas faire d’association directe. La plupart des groupes religieux sont proches de l’AKP. Y compris pour les Fethullaçı mais leur rapport à l’AKP est changeant, dans le temps et dans l’espace. S’il ne faut pas généraliser, les alévis seraient plus proches du CHP ou, dernièrement, du BDP, suite à l’ouverture du parti vers les “groupes opprimées”.
Pourquoi qualifie-t-on le gouvernement actuel d’ “islamiste modéré” ?
Les observateurs extérieurs le qualifient comme tel pour prendre acte de l’aggiornamento et différencier l’AKP des partis islamistes traditionnels. Mais l’AKP refuse cette dénomination. L’enjeu de dénomination est important en termes de légitimité. A mon sens, l’AKP est une coalition. Au sein du parti, la question religieuse est controversée. Certains sont libéraux, d’autres islamistes, parfois les deux. Quoi qu’il en soit, le terme “islamiste modéré” est réducteur.
Propos recueillis par Fanny Fontan (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 26 février 2013
Pour aller plus loin :
- Définition du sunnisme, de l’hanafisme et du chiisme
Élise Massicard :
L'autre Turquie: le mouvement aléviste et ses territoires, PUF, 2005 (Traduction en turc : Türkiye’den Avrupa’ya Alevi hareketinin siyasallaşması, İletişim, Istanbul, 2007.)
L'islamisme turc à l'épreuve du pouvoir municipal, Production d'espaces, pratiques de gouvernement et gestion des sociétés locales, Critique internationale, 2009/1 n° 42, p. 21-38.
Thierry Zarcone :
La Turquie moderne et l’islam, Flammarion, 2004
Le soufisme, voie mystique de l’islam, Gallimard, 2009
Secret et sociétés secrètes en Islam : Turquie, Iran et Asie Centrale, XIXe – XXe siècles, Franc-maçonnerie, carboneria et confréries soufies, Archè, 2002

vendredi 16 novembre 2012

Le sultan Erdoğan: caricature


L’actuelle Constitution, comme toutes celles qui l’ont précédée en presque 90 ans de République, dote la Turquie d’un régime parlementaire. Le gouvernement est responsable devant le Parlement – qui peut donc le renverser – et le président de la République occupe pour l’essentiel une fonction honorifique.
Bekir Bozdağ, vice-Premier ministre, a livré lundi quelques pistes sur les changements envisagés. Dans la nouvelle architecture, les ministres ne seraient plus choisis parmi les députés mais nommés directement par le président de la République. “Le gouvernement n’aurait plus besoin d’un vote de confiance du Parlement puisqu’il n’y aurait plus de votes de confiance et de motions de censure”, a-t-il avancé, cité par les médias turcs. Irrévocabilité mutuelle des pouvoirs, fondement d’un régime présidentiel.
Alors que les partis au Parlement peinent à élaborer une nouvelle Constitution, les cadres du Parti de la justice et du développement (AKP) et le Premier ministre lui-même multiplient les appels à une refonte des institutions. Ils plaident pour l’instauration d’un régime présidentiel ou semi-présidentiel en Turquie
Les constitutionnalistes ajouteront que la réforme de 2007, qui instaure l’élection du président non plus au suffrage indirect mais au suffrage universel direct, a déjà rapproché la Turquie du régime semi-présidentiel. Mais l’AKP et son chef, Recep Tayyip Erdoğan, semblent envisager sérieusement un régime dans lequel le chef de l'Etat se verrait confier de réels pouvoirs. Un régime présidentiel.
L’AKP a franchi un pas le 5 novembre, en soumettant au président du Parlement une réforme des institutions. Objectif non avoué : faire passer cette réforme avant l’élection présidentielle de 2014, à laquelle Recep Tayyip Erdoğan (qui remplit actuellement son troisième et dernier mandat de chef du gouvernement) pourrait bien être candidat.
Poids... et contre-poids ?
Toujours selon la proposition de l’AKP, le président et les ministres ne pourraient pas introduire de projet de loi. Mais le président pourrait ratifier ou opposer son veto aux lois votées par le Parlement, comme cela est déjà le cas. En contrepartie, il reviendrait au Parlement d’approuver ou non le budget préparé par le président. Une Haute Cour (Yüce Divan, elle aussi déjà existante) serait autorisée, à certaines conditions, à juger le président.
Le régime présidentiel “pourrait être une bonne idée, à la condition qu’un système adéquat de séparation des pouvoirs (checks and balances/poids et contre-poids) soit instauré dans ce pays”, écrit Yusuf Kanlı dans Hürriyet Daily News. “Dans le cas contraire, j’ai bien peur que l’Etat-police actuel ne soit remplacé par la tyrannie d’un règne autocratique”, ajoute-t-il, parlant plus loin du “pouvoir absolu du sultan.” Recep Tayyip Erdoğan, pour ne pas le citer.
C’est également sous les traits d’un padişah que l’hebdomadaire satirique Penguen dépeint cette semaine le Premier ministre turc…
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) vendredi 16 novembre 2012

mercredi 14 novembre 2012

LOI POLÉMIQUE – L'AKP restructure les municipalités du pays… à son avantage


Le principal parti d'opposition (CHP) a demandé lundi un rendez-vous avec le président Abdullah Gül afin de lui faire part de ses inquiétudes et lui demander d’opposer son veto à un projet de restructuration des municipalités turques. Selon ce projet de loi, approuvé lundi matin après une séance parlementaire de plus de 16 heures, 13 villes du pays dont la population dépasse 750.000 habitants obtiennent le statut de “municipalité métropolitaine”. Elles viennent s'ajouter aux 16 déjà existantes, comme Istanbul ou Ankara, et leurs limites sont étendues à l'ensemble de la province.
L’opposition reproche à cette mesure de favoriser l’AKP à l’approche des élections locales de 2014. Exemple : Manisa et Balıkesir, dont les mairies sont détenues par le Parti d’action nationaliste (MHP), pourraient passer à l'AKP aux prochaines élections, grâce à la nouvelle loi. Eskişehir, Antalya et Mersin (villes CHP) tomberaient elles aussi dans l’escarcelle de l’AKP si les résultats de 2011 se reproduisaient dans deux ans. Le MHP accuse par ailleurs le texte d’ouvrir la voie au “fédéralisme” en Turquie. Le ministre de l'Intérieur, Idris Naim Şahin, a tenu à minimiser ces critiques.
Autre disposition du texte, les municipalités métropolitaines et les mairies ayant une population d'au moins 100.000 habitants sont désormais obligées de mettre en place des refuges destinés aux femmes et aux enfants. A ce jour, les mairies de plus de 50.000 avaient la “possibilité” d’ouvrir de tels refuges.
Tanguy Quidelleur (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) mercredi 14 novembre 2012

mardi 30 octobre 2012

Tensions dans les rues d’Antioche


25 octobre 2012 LIBERATION
  • Par Tarik Yildiz Chercheur au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa)
Connue pour sa paisibilité, la vieille ville d’Antioche est sous pression. Située en Turquie, proche de la frontière syrienne, la ville est souvent montrée en exemple pour la tolérance de ses habitants et son caractère laïc. Eglise, synagogue et mosquée se côtoient dans la région où se situe le seul village arménien de Turquie. Fidèles des diverses religions et non-croyants cohabitent dans cette zone du monde habituée aux conflits interreligieux.
Depuis peu, les célèbres vents d’Antioche ne sont plus les seuls à secouer la ville. En effet, la guerre en Syrie modifie le comportement des habitants. Le gouvernement turc accueille réfugiés syriens et militants islamistes qui font peur aux communautés de la ville : alaouite, chrétienne, sunnite turque, juive… Se promenant en djellabas avec de longues barbes, réfugiés syriens et militants sont perçus comme des fanatiques imposant le fait religieux dans la sphère publique.
Parfois armés, affichant leurs convictions religieuses, ces derniers ne sont pas tous syriens. Des hommes de plus en plus nombreux venus d’autres pays arabes ou musulmans sont aussi à Antioche : les habitants sont persuadés qu’il s’agit de jihadistes ayant pour but d’anéantir les minorités religieuses et les musulmans modérés. D’abord en Syrie mais aussi en Turquie.
Des bagarres ont éclaté depuis que la présence des réfugiés se fait sentir dans le centre-ville et certains villages. Les conflits sont retranscrits dans la presse et attisent la nervosité dans la cité. Dernièrement, des réfugiés ont refusé de payer un chauffeur de «dolmus», sorte de taxi collectif, en affirmant qu’ils avaient été invités en Turquie par le Premier ministre. Un violent affrontement s’en est suivi jusqu’à ce que la gendarmerie intervienne. Ces événements alimentent les conversations dans la ville qui ne parle plus que de la guerre et du danger salafiste.
Les hôpitaux sont le théâtre de tensions. Certains ressortissants des pays arabes refusent les soins du personnel du sexe opposé et de médecins alaouites. Une grande partie des habitants d’Antioche étant arabophones, les échanges verbaux sont facilités, les insultes comprises et les bagarres fréquentes entre réfugiés et membres du personnel.
La tension dans la ville se traduit aussi par la présence d’étrangers à l’apparence diplomatique venant de pays plus ou moins impliqués dans le conflit syrien. Restaurants et hôtels luxueux accueillent ces hommes qui font des séjours réguliers. Les habitants ont l’impression que leur ville est devenue une base logistique pour salafistes et diplomates du golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, avec la bénédiction du gouvernement turc.
Le risque d’un repli identitaire à Antioche, dégât collatéral de la guerre en Syrie et de la politique gouvernementale de l’AKP (parti de la justice et du développement au pouvoir), est réel. Ce danger est d’autant plus sérieux que des marchands d’armes proposeraient leurs services à l’ensemble des habitants, sans faire de distinction parmi les communautés ou les mouvements politiques. Divers trafics ont longtemps alimenté les guérillas kurdes et d’extrême gauche. Des rumeurs difficilement vérifiables font état d’un début d’armement de certains quartiers.
Au-delà de la question kurde, la crispation identitaire touche toutes les communautés du pays. Certains politiques turcs ont axé le débat sur la dimension confessionnelle du conflit syrien. Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre, a par exemple accusé Kemal Kiliçdaroglu, leader du principal parti d’opposition (CHP ou Parti républicain du peuple, fondé par Atatürk) d’être critique vis-à-vis de sa politique dans la crise syrienne pour des raisons religieuses. En effet, Kiliçdaroglu est d’origine alevi et des responsables de l’AKP ont rappelé la proximité religieuse avec Al-Assad. Ces remarques ont contribué à racialiser la polarisation politique dans le pays.
Outre la dimension confessionnelle des prises de position, le gouvernement, au pouvoir depuis novembre 2002, mène une politique plus conservatrice depuis la dernière élection de juin 2011. Affichant sa volonté de former une jeunesse religieuse, le gouvernement a par exemple tenté de modifier la loi relative à l’avortement avant de faire marche arrière quelques semaines plus tard.
Le prestige grandissant du régime turc à l’extérieur, notamment accentué par le printemps arabe, contraste avec les risques internes de division de la société. Les liens du gouvernement avec les monarchies arabes dans le cadre de la politique syrienne accentuent le péril d’une dérive antidémocratique. L’autoritarisme, le non-respect des minorités politique, ethnique ou religieuse représentent un danger non négligeable pour la pérennité du «modèle turc». Les réactions peuvent devenir incontrôlables et mettre en difficulté l’AKP qui était parvenu à réduire le rôle de l’armée dans la société et à considérablement développer le pays, tant sur le plan social que sur le plan économique.

vendredi 22 juin 2012

Intéressant point de vue sur le bilan de l'AKP au bout d'un an


L’AKP un an après : un bilan négatif d’après les experts


Un an après son élection triomphale, l’AKP est l’objet de nombreuses critiques concernant sa gestion jugée «autoritaire» de nombreux dossiers. Pour les observateurs, le drame d’Uludere ou le retrait politique du gouvernement dans l’affaire Ergenekon traduisent cette évolution négative de l’AKP.
C’est en promettant de poursuivre les efforts de démocratisation et l’élaboration d’une nouvelle constitution que le Parti de la justice et du développement (AKP) a remporté le 12 juin 2011 les élections nationales, raflant la moitié des suffrages. Mais le parti semble perdre du terrain parmi les faiseurs d’opinion qui dénoncent aujourd’hui les velléités autoritaires du parti au pouvoir. Mehmet Altan, enseignant à la faculté d’économie de l’Université d’Istanbul interprète les récents débats lancés par Recep Tayyip Erdogan au sujet de l’avortement et de la construction d’une mosquée à Çamlica comme une manifestation des tendances autoritaires du Premier ministre. «Ces débats montrent clairement que le gouvernement veut opérer une transition consistant à faire passer le pays du kémalisme laïc au kémalisme religieux» a déclaré l’universitaire à Zaman. Koray Çaliskan, politologue à l’Université Bogazici est du même avis. Au sujet du drame d’Uludere, il met ainsi en garde : «dans un avenir pas trop lointain, n’importe lequel d’entre nous pourrait se faire licencier simplement pour avoir exprimé une opinion», ajoutant par ailleurs que cela signifierait alors que l’AKP serait devenu comparable au CHP (Parti républicain du peuple) des années 1930 : un parti unique partiellement intégré à l’Etat.
Uludere : la plus grande crise de l’AKP
Si l’AKP a reçu les faveurs d’une large frange de la société turque, c’est pour son engagement à démocratiser le pays et à placer les libertés individuelles avant l’intérêt de l’État. Il semble néanmoins que le parti a depuis peu emprunté le chemin inverse. La position du gouvernement vis-à-vis du drame d’Uludere, où 34 citoyens turcs d’origine kurde ont été tués par erreur, constitue, d’après les spécialistes, un exemple typique d’une telle attitude. Au lieu de trouver les responsables et d’exprimer des regrets sincères, le gouvernement a en effet donné l’impression d’essayer de dissimuler ce qui s’est réellement passé. Pour M. Çaliskan, le drame d’Uludere est à l’origine de la plus grande crise qu’ait connue l’AKP. Critiquant le gouvernement pour son attitude à l’égard de l’événement, il a en effet affirmé qu’ «Erdogan aurait dû s’excuser, comme il l’a fait pour Dersim (car) c’est lui qui est politiquement responsable».Toujours selon le politologue, ce drame a eu un impact majeur sur la manière dont l’AKP est perçu par le public. «L’image qui a prévalu ces dernières années d’un AKP victime de l’establishment [juridico-militaire, Ndlr] a totalement volé en éclats», poursuit M. Çaliskan, l’AKP ayant commencé à se comporter en parti-Etat en accordant la priorité à la défense de l’institution étatique. L’AKP a été salué quand il a annoncé son projet le plus important, la préparation d’une nouvelle constitution civile destinée à remplacer celle héritée de la période militaire. Néanmoins, les travaux de la commission mise en place à cet effet ne progressent que très lentement. Le travail constitutionnel est en cours avec la création de la Commission parlementaire pour la conciliation constitutionnelle, constituée de représentants des quatre partis et dirigée par le président du Parlement. Beaucoup d’observateurs soupçonnent néanmoins que les règlements internes adoptés par la Commission ne rendent difficiles l’obtention d’un compromis dans la mesure où ils requièrent un consensus absolu qu’il ne sera pas aisé d’obtenir compte tenu de la grande divergence d’opinions qui existe sur certains sujets. Qui plus est, la composition de la nouvelle assemblée est telle qu’il est impossible à l’AKP d’assumer à lui seul la rédaction de la nouvelle Constitution. Ahmet Turan Alkan, analyste politique et éditorialiste au quotidien Zaman, ne cache pas le fait qu’il n’est pas optimiste vis-à-vis de la question : «les débats relatifs à une nouvelle constitution ont pris du retard par rapport à ceux sur le système présidentiel. Tout se passe comme si le gouvernement voulait simplement utiliser la chose politiquement».
La liberté de la presse en recul
Par ailleurs, le gouvernement est revenu sur sa promesse d’une «Turquie sans bandes organisées ni juntes» pourtant incluse dans son programme électoral. L’AKP a en effet signifié qu’il pourrait réduire son soutien politique aux affaires judiciaires majeures telles qu’Ergenekon, dans lesquelles des membres de bandes organisées longtemps nichées à l’intérieur de l’appareil d’Etat sont actuellement en train d’être jugés. Le parti avait déjà poussé à modifier la loi sur les matches truqués adoptée par le Parlement à peine huit mois plus tôt. La conséquence en a été la réduction des peines des bandes organisées et des personnes impliquées dans les scandales des matchs truqués. L’AKP a échoué à modifier la loi sur les partis politiques, les lois sur le financement des campagnes électorales, ainsi que la loi électorale. Il a également interrompu les progrès faits en matière de réformes pour une harmonisation avec l’UE. Par ailleurs, la plupart des lois nécessaires à l’ajustement de la législation turque avec la réforme constitutionnelle, n’ont à ce jour pas été soumises au Parlement. Le gouvernement a échoué à donner le jour à des projets de loi importants : la création d’un conseil anti-discrimination ; une loi sur les aides publiques ; une loi sur les services de sécurité externe des établissements pénitentiaires. Dernier point, mais non le moindre : la liberté de la presse et les changements susceptibles d’être apportés aux lois antiterroristes destinés à donner une marge de manœuvre aux journalistes. Le gouvernement avait présenté des amendements en ce sens au Parlement. Des groupes de surveillance des médias affirment néanmoins que, loin d’avoir réussi à apporter une solution au défaut de liberté dont souffrent les médias en Turquie, ils ont, dans certains cas, contribué à aggraver la situation.
Ankara