Les réactions se multiplient depuis la condamnation, lundi, du pianiste Fazıl Say à 10 mois de prison avec sursis et mise à l’épreuve. Tandis que plusieurs ministres semblent regretter le verdict, de hauts responsables de l’AKP donnent raison aux juges. Les hebdomadaires satiriques Penguen et Leman s’emparent du sujet.
Fazıl Say était poursuivi au titre de l’article 216 du code pénal, lequel punit le fait “de dénigrer publiquement les valeurs religieuses d’une partie de la population.” L’acte d’accusation reprenait une série de propos publiés sur le compte Twitter de l’artiste : des vers attribués au poète persan Omar Hayyam, qui se demandait au 12ème siècle si le paradis était une taverne ou un bordel ; plusieurs tweets proclamant l’athéisme du pianiste ou encore un message dans lequel il déclarait : "Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus mais dès qu’il y a un lèche-botte, un médiocre, un voleur, un bouffon, c’est toujours quelqu’un qui croit en Allah".
“Omar Hayyam, sois raisonnable !
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Oh l’insulte !”
- Et vous, qui êtes-vous ?
- Oh l’insulte !”
Reconnu coupable par un tribunal d’Istanbul, le virtuose turc a écopé de dix mois de prison, qu’il ne purgera qu’en cas de nouvelle condamnation dans un délai de cinq ans. Dans les motifs de sa décision publiés hier, la cour explique que l’objectif du musicien était “d’humilier les valeurs religieuses”.
"Je suis désolé pour mon pays", a réagi l'artiste après l’annonce de la sentence. "Je suis plus inquiet pour l'état de la liberté d'expression et de croyance en Turquie que je ne le suis pour ma propre condamnation", a-t-il ajouté sur sa page Facebook. De nombreuses voix se sont élevées, en Turquie et à l’étranger, pour soutenir Fazıl Say. La Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères, Catherine Ashton, s'est dite "préoccupée", soulignant "l'importance pour la Turquie de respecter pleinement la liberté d'expression". Dans une résolution sur le rapport de suivi 2012 de la Turquie adoptée hier, les députés européens appellent Ankara à "multiplier les efforts visant à garantir la liberté d'expression, la liberté des médias et toutes les autres libertés fondamentales conformément aux valeurs de l'UE."
Du silence à l’approbation
La condamnation du pianiste semble mettre mal à l’aise une partie du gouvernement. Le Premier ministre Erdoğan a refusé de s’exprimer, priant les journalistes de ne pas lui faire “perdre son temps” avec cette affaire. Egemen Bağış, ministre en charge des Affaires européennes, a été plus disert : “Nous ne pouvons pas nous réjouir du fait que Fazıl Say ou un autre de nos citoyens soit jugé pour ses propos ou ses opinions”, a-t-il réagi, regrettant même que les juges n’aient pas considéré son cas dans le cadre de la “liberté de dire n’importe quoi”.
D’autres à l’AKP (Parti de la justice et du développement) ont au contraire salué la condamnation du pianiste. Le ministre de la Culture et du Tourisme, Ömer Çelik, a estimé que les propos de Fazıl Say n’entraient pas dans le champ de la liberté d’expression. Tout juste a-t-il concédé que l’ouverture d’un procès pénal – et non civil – dans ce genre d’affaire pouvait être débattue.
Hüseyin Çelik, le porte-parole de l’AKP, s’est emporté contre ceux qui critiquent la condamnation, soulignant que “la loi est la même pour tous (…), célèbre ou pas” et affirmant que Fazıl Say n’avait pas été condamné pour avoir exprimé ses idées mais pour avoir proféré des insultes. Quant au numéro 2 de l’AKP, Mehmet Ali Şahin, sa réaction n’est pas passée inaperçue: “Cette personne (Fazıl Say, NDLR) a un père et une mère. Il a déclaré que son père était croyant. Il a donc traité son père et sa mère de lèche-botte! Nous ne disons rien de son athéisme, qu'il respecte ceux qui croient.”
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 19 avril 2013
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