Après 30 ans de guerre, des négociations de paix sont en cours entre les autorités turques et Abdullah Öcalan, le chef emprisonné à perpétuité du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Reléguées au second plan de l'actualité ces dernières semaines, où en sont les négociations ? Voici sept points pour comprendre ce qu'il se passe.
1. Un processus en trois étapes ? - Les combattants du PKK ont commencé à se retirer le 8 mai dernier vers leurs bases du nord de l'Irak. Cette phase constituerait le premier acte de l'accord tacite passé entre le chef du PKK et Ankara pour un règlement du conflit, après l'appel au cessez-le-feu et au retrait lancé par Abdullah Öcalan le 21 mars dernier. D'après le BDP (Parti pour la paix et la démocratie, pro-kurde), si les négociations suivent leur cours et que des réformes sont bel et bien engagées par le gouvernement (deuxième étape), le processus de paix serait entériné par un troisième chapitre : l'abandon définitif des armes par le PKK, qui signerait la fin de 30 années de guerre.
2. Les réformes, condition de la réussite du processus – La semaine dernière, l'un des coprésidents du BDP, Selahattin Demirtaş, a fait part de son impatience. Il a appelé le gouvernement à honorer sa “part du contrat” en engageant des réformes avant la fin de l'été. Parmi elles, des amendements au code pénal et aux lois sur les élections pour favoriser la représentation de la minorité kurde au parlement, le droit à l'éducation en langue kurde ainsi qu'une forme d'autonomie régionale sont jugées prioritaires. Les semaines passées, les autorités turques semblent surtout s'être focalisées sur la fronde antigouvernementale qui secoue le pays depuis un mois. Selahattin Demirtaş a indiqué s'attendre dans les prochains jours à des “annonces” du gouvernement, sans qu'aucune confirmation officielle n'intervienne.
3. Les acteurs du processus – Mercredi, la délégation des “Sages” (photo de gauche, site officiel du Premier ministre) a remis son rapport au Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, principal interlocuteur des négociations avec Hakan Fidan, le chef des services de renseignement turcs. Depuis deux mois, ces 63 intellectuels, membres d'ONG et personnalités, ont parcouru les 81 provinces du pays pour recueillir les souhaits et les craintes de la population concernant les négociations en cours. Les revendications du PKK, formulées par Abdullah Öcalan sur l'île d'İmralı, en mer de Marmara, sont relayées par les représentants du BDP, en particulier par Selahattin Demirtaş et le député Pervin Buldan, qui lui ont rendu visite à plusieurs reprises ces dernières semaines et mardi dernier encore. Dans son dernier message, Abdullah Öcalan s'est dit convaincu que “malgré certaines obstructions (...) nous parviendrons au but”.
4. Les inquiétudes des derniers jours - Mercredi, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a déclaré insuffisant le retrait des rebelles du PKK du territoire turc, dont le gouvernement estime qu'il concerne pour l'instant 15% des combattants. Il a ajouté qu'il était “hors de question de réduire le seuil des 10%” permettant à un parti politique d'accéder aux sièges de l'Assemblée nationale. Suite à cette déclaration, Murat Karayılan, chef militaire du PKK basé en Irak du Nord, a accusé les autorités de saboter le processus de paix. Le même jour, le responsable d'une base militaire de l'est de la Turquie a été kidnappé par des militants liés au PKK, d'après l'agence de presse Doğan. Cet incident est le quatrième recensé par l'armée turque depuis la proclamation unilatérale du cessez-le-feu. La semaine dernière, un hélicoptère militaire avait essuyé des coups de feu attribués par Ankara au PKK à Yüksekova, dans le sud-est de la Turquie. Deux ouvriers avaient été kidnappés par le PKK le 23 juin à Bitlis, avant d'être libérés hier. Hier encore, un membre des "forces de sécurité", selon l'agence Anatolie, a été blessé dans une opération à Cizre. Sept personnes ont été placées en garde à vue. Ces incidents ont ravivé les craintes d'un “sabotage” du processus, alors qu'aucune victime d'affrontements entre l'armée et le PKK n'est à déplorer depuis le début des négociation.
5. La “double exigence” du processus de paix – Jonathan Powell, diplomate britannique et figure clé des pourparlers de paix en Irlande du Nord sous le gouvernement de Tony Blair, s'est rendu à Ankara en début de semaine pour partager son expérience des techniques de négociation. Selon lui, “l'un des points qui inquiète les hommes politiques, c'est qu'en réalité ils font face à deux audiences. Parfois ils considèrent uniquement les revendications de ceux qui se tiennent en face d'eux (les représentants du PKK, ndlr), mais il y a aussi une communauté entière (les Kurdes, ndlr) qui doit être inclus dans ce processus de paix.”
6. L'opinion publique en Turquie – D'après un sondage réalisé au printemps dernier par le GENAR, centre de recherche et cabinet de conseil turc indépendant,environ 90% de la population en Turquie approuve la résolution de la question kurde par le biais de négociations. Cependant, une frange non-négligeable de l'opinion du pays reste catégoriquement opposée aux discussions engagées par le gouvernement avec le chef du PKK, Abdullah Öcalan, largement considéré comme un "terroriste".
7. Un conflit qui dure depuis bientôt 30 ans – La conflit entre l'armée et le PKK aurait couté la vie 40.000 personnes depuis 1984. Initialement, le PKK souhaitait l'indépendance d'un territoire doté d'une population à majorité kurde. Depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP (Parti de la justice et du développement), des concessions ont été faites de la part des deux camps pour aboutir à la paix.L'ancien chef de cabinet de Tony Blair, Jonathan Powell, pressait cette semaine pour des solutions concrètes et imminentes, estimant que “si le laps de temps entre le cessez-le-feu et les négociations se révèle trop long, il se peut que cela tourne mal.”
Diane Jean (http://lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 28 mai 2013
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