vendredi 5 juillet 2013

ISTANBUL: Marie Munhoven, restauratrice de livres anciens

UN MÉTIER PAS COMME LES AUTRES – 

A bientôt 25 ans, Marie Munhoven a choisi de suivre son compagnon galeriste et d’exercer ses talents de restauratrice de livres à Istanbul. Elle a accepté de recevoir lepetitjournal dans son atelier près de la tour Galata afin de nous éclairer sur ce métier mystérieux.
Lepetitjournal.com d'Istanbul : Comment et pourquoi êtes-vous devenue restauratrice de livres ?
Marie Munhoven (photo FF): J’ai toujours voulu faire ce métier, par amour des livres. J’ai toujours été passionnée par les vieilles choses et les bibliothèques. Mes parents m’ont appris à lire avant mon entrée en CP. Pour moi, les livres avaient quelque chose de magique. Dès l’école primaire, j’ai découvert les métiers du livre. J’ai alors ensuite adapté toute ma scolarité à ce projet. J’ai fait un BAC STI Arts Appliqués puis ai intégré l’école Estienne de Paris. Durant deux années, j’ai étudié la reliure classique et contemporaine. Puis j’ai obtenu un Master en Restauration et Conservation du patrimoine à la Sorbonne en juin 2012. Pendant ce cursus, j’ai effectué plusieurs stages dont un à l’IFEA à Istanbul, un à la BNF au département des livres rares et enfin un autre au Muséum d’histoire naturelle de New York. J’ai ensuite créé mon entreprise en octobre 2012. Je travaille aujourd’hui entre la France et la Turquie.
En quoi consiste ce métier ?
J’interviens sur trois domaines : la restauration de livres, de papier et la reliure qui peut être classique ou contemporaine. La règle d’or est de préserver les éléments d’origine, d’être le moins interventionniste possible. Sauf pour du contemporain, où là on peut se laisser aller à la créativité et s’amuser avec les matériaux et les couleurs. En général, la reliure contemporaine concerne les personnes qui achètent des livres non reliés et le font faire ensuite.
Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans cette profession ?
On ne s’ennuie jamais ! C’est agréable de rencontrer des gens différents et de faire différentes choses. En plus, lorsque l’on restaure un livre ancien, on a la chance de l’avoir avec soi. Souvent ce sont des pièces très précieuses auxquelles quasi personne n’a accès. J’ai le privilège de pouvoir les regarder en détails, de les apprivoiser.
Quel est le livre le plus vieux que vous ayez restauré ?
Il s’agit de Décades de la description, de Barthélemy Aneau. Une "encyclopédie" qui date de 1549. Elle regroupait différentes espèces animales avec des dessins extraordinaires. Notamment des crocodiles ou des animaux d’Afrique, qui ne ressemblaient pas tout à fait à la réalité. Evidemment, les illustrateurs n’en avaient jamais vus. Ils dessinaient à partir du récit de quelqu’un d’autre. C’était donc un peu naïf, mais impressionnant à la fois de voir les connaissances qu’ils avaient à l’époque. L’imprimerie étant née en 1480, nous travaillons sur les livres imprimés à partir de la fin du XVème siècle.
Travaillez-vous plutôt pour des institutions ou des particuliers ?
Les deux. Je dirais qu’ici, en Turquie, je travaille plus avec des institutions (le musée Pera, SALT, l’IFEA…). Et des particuliers en France, des collectionneurs privés. Tout simplement parce que je passe la plupart de mon temps à Istanbul et donc je dois prendre les livres avec moi.
Quel est le prix d’une rénovation ?
Le prix se calcule à l’heure et inclut le matériel, le temps de travail les charges etc. Je facture entre 35 et 50 € de l’heure, selon que je travaille pour un particulier ou une institution. Quant au nombre d’heures, cela dépend de l’état du livre : entre 3 et 15h. En moyenne je facture entre 350 et 500 € par restauration.
Quelle est la situation du métier à Istanbul ?
J’ai l’impression qu’il y a un véritable manque ici. Quand je me suis présentée, j’ai été très bien accueillie parce qu’il n’y a pas grand monde dans la restauration. Le métier n’est pas encore démocratisé. Je crois aussi qu’il y a un creux à ce niveau dans les institutions. Elles n’ont pas forcément de budget à y consacrer (à part SALT). Je suis satisfaite parce que j’arrive à combler avec le travail que j’effectue pour la France. Il y a une vraie demande ici mais je ne dirais pas que c’est le nouveau marché de la restauration ! Pourtant, il y aurait énormément de choses à faire, dans les bibliothèques notamment. Mais à part l’atelier de la mosquée Süleymaniye, celui de Sabancı et l’Arkas à Izmir, il n’y a pas grand-chose. Je n’ai jamais rencontré de restaurateur privé. Je crois que c’est surtout le rapport au métier qui est très différent. En France, c’est devenu tellement normal que le système est bien rôdé. Les ateliers font des appels d’offres et reçoivent ensuite de grosses commandes. Ici ce n’est pas encore le cas.
A quoi ressemble une journée type de travail ?
Il n’y en a pas vraiment. Lorsque j’ai les documents, je commence d’abord par faire la liste de tout ce que j’ai à faire. Il faut anticiper les temps de séchage et de presse sinon on se retrouve bloqué. C’est pour ça qu’il faut faire plusieurs choses en même temps et s’organiser. Ensuite cela se fait en trois temps. Tout d’abord il faut dépoussiérer les documents avec des gommes, des pinceaux ou des brosses. Ensuite on comble les lacunes et les déchirures à l’aide d’un papier japonais en fibres de mûriers et d’une colle d’amidon de riz ou de blé que l’on a en poudre et que l’on doit fabriquer. On utilise ces matériaux parce qu’ils sont réversibles à l’eau. Puis vient le moment de la mise à plat. C’est toujours un peu la même chose. Je préfère travailler sur des couvertures en cuir. Les livres que l’on doit recoudre entièrement sont assez rares, le plus souvent il s’agit d’une petite partie. Là, il faut connaître les différentes techniques selon les siècles et reproduire celle qui est la plus adaptée. Il faut toujours intervenir un minimum et préserver l’authenticité de l’objet. Être le plus discret possible.

Propos recueillis par Fanny Fontan (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 4 juillet 2013
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