mercredi 3 juillet 2013

COMMÉMORATION – Sivas, Hôtel Madımak, 20 ans après

Hier, des centaines de personnes se sont rendues à Sivas, ville du centre de l'Anatolie, pour commémorer le massacre du 2 juillet 1993. Vingt ans après, Hasan Fehmi Kınay, député de l'AKP (Parti de la justice et du développement), annonce qu'une “ouverture” pourrait voir le jour, permettant d'améliorer le statut de la minorité alévie en Turquie.
Hier matin, les portraits en noir et blanc des victimes de l'hôtel Madımak peuplaient les rues de la ville. Plusieurs centaines de personnes – Alévis (branche hétérodoxe de l’Islam, proche du chiisme sans s’y assimiler, qui emprunte aussi au chamanisme et à d’autres croyances pré-islamiques) mais aussi syndicats, partis de gauche et étrangers - se sont retrouvés à Sivas, en Anatolie centrale, pour commémorer l'incendie criminel de l'hôtel Madımak, vingt ans après la tragédie.
Une délégation du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d'opposition, s'est également rendue sur place. La foule s'est recueillie près de l'hôtel Madımak, lieu du drame devenu centre culturel, brandissant des œillets rouges et blancs en mémoire des victimes. Ce 2 juillet 1993, 37 personnes, dont 33 intellectuels et artistes alévis venus participer au festival Pir Sultan Abdal (poète exécuté au 16ème siècle), avaient péri dans un incendie provoqué par des islamistes radicaux.
Plusieurs mesures de sécurité ont été prises hier pour éviter tout débordement. Les papiers d'identité étaient contrôlés aux portes de la ville. En lisière du rassemblement, 2 500 policiers étaient déployés pour assurer le bon déroulement de la cérémonie. En fin d'après-midi, une jeune femme s'est tenue face à la police, pancarte à la main. “Il est temps de faire le choix de la paix”. Le slogan faisait allusion aux tensions qui règnent entre la minorité alévie et le gouvernement.
Cette année, des commémorations engagées
Les commémorations du massacre de Sivas ont débuté le mois dernier, en parallèle de la fronde antigouvernementale partie de la place Taksim il y a un mois. Le 23 juin dernier, des centaines de Stambouliotes s'étaient réunis à Kadıköy. Qu'ils soient sympathisants kurdes, de l'extrême gauche, membres de syndicats ou proches du CHP, les Alévis d'Istanbul s'étaient rassemblés pour se souvenir mais aussi pour se faire entendre. Une grande partie des membres de cette communauté revendique notamment la suppression des cours d'éducation religieuse dans les écoles publiques, la reconnaissance officielle des cemevis, leurs lieux de culte, et une représentation auprès de la direction des Affaires religieuses.
Le 3 juin dernier, Élise Massicard, responsable de l'Observatoire de la vie politique à l'Institut français des études anatoliennes d'Istanbul et spécialiste de la question alévie, expliquait au quotidien Le Monde la forte mobilisation alévie à Taksim : “D'une manière générale, ils sont exclus de la vie politique et n'ont plus grand chose à perdre.” Cette année, les commémorations du massacre de Sivas ont été particulièrement engagées. D'après l'AFP, d'importantes cérémonies ont eu lieu dans plusieurs pays d'Europe notamment en France et en Allemagne la semaine passée. Hier soir, d'autres rassemblements se sont déroulés à Kadıköy et dans la province d'Eskişehir.
Une “ouverture” pour les Alévis ?
C'est ce qu'a promis Hasan Fehmi Kınay, député de l'AKP, à la minorité il y a une semaine. Ankara se pencherait actuellement sur un plan pour élargir les droits des Alévis, représentant quelque 20% de la population en Turquie. Un avocat de la Fédération des associations alévies précise que la minorité attend beaucoup dans les prochaines semaines.
Récemment, le gouvernement turc a décidé de rebaptiser deux universités turques avec des grands noms de la communauté alévie. Ainsi, l'université de Nevşehir s'appellera désormais l'université de Hacı Bektaş Veli, du nom de celui qui a fondé la confrérie des Bektachis au 13ème siècle. Et celle de Tunceli va devenir l'université de Pir Sultan Abdal. Mais cette décision intervient quelques semaines après l'émoi suscité par l'annonce que le troisième pont sur le Bosphore porterait le nom du sultan Yavuz Selim, responsable de la mort de dizaines de milliers d'Alévis.
Diane Jean (http://lepetitjournal.com/istanbul) mercredi 3 juillet 2013

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