mardi 2 juillet 2013

TURQUIE: FACEBOOK, TWITTER... – Qu'est-ce qu'une nouvelle loi pourrait changer ?

A la faveur des manifestations antigouvernementales des dernières semaines, les critiques contre les réseaux sociaux se multiplient à la tête du pouvoir. Ces critiques pourraient aboutir à un durcissement de la législation en matière de liberté d'expression sur Internet, déjà frappé par la censure.
"Les réseaux sociaux sont la pire menace pour la société". Nous sommes le 2 juin. Après trois jours d'une contestation qui ne cesse de prendre de l'ampleur, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan désigne les “responsables” des manifestations : Facebook et Twitter.
Les réseaux sociaux ont en effet joué un rôle-clé dans le mouvement commencé place Taksim. Pendant trois semaines, les protestataires les ont utilisés afin d'échanger des informations, se donner rendez-vous pour des rassemblements, ou diffuser des photos et des vidéos. Facebook et Twitter, surtout, ont compensé le manque de visibilité de la protestation dans les médias traditionnels. "Sans les réseaux sociaux, rien de tout cela ne serait arrivé", reconnaissait Sedat Kapanoğlu, le fondateur du site contributif turc Ekşi Sözlük, dans une interview donnée à Slate il y a trois semaines
Les réseaux sociaux sous surveillance
Un avis à l'évidence partagé par le gouvernement qui, par la voix de son ministre de l'Intérieur Muammer Güler, a annoncé le 17 juin dernier qu'il était en train de préparer une loi permettant de poursuivre les internautes se rendant coupable de diffamation ou d'appel à la révolte. "A mon avis, cette nouvelle loi ne sera qu'une extension de ce qui existe déjà", estime Erkan Saka, professeur de communication à l'Université Bilgi d'Istanbul.
Effectivement, le 4 juin dernier, les forces de police ont procédé à l'arrestation de 35 personnes à Izmir, accusées "d'incitation à la révolte et de propagande". On se souvient aussi de l'affaire Fazıl Say, qui avait été traduit en justice après avoir écrit sur son compte Twitter : "Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais, s'il y a un pou, un médiocre, un voleur, un bouffon, c'est toujours un islamiste". Une phrase qui avait valu au pianiste une condamnation pour "insulte aux valeurs religieuses d’une partie de la population" le 15 mai dernier, condamnation annulée quelques jours plus tard.
Le nouveau texte ne serait donc qu'un prolongement de ce que la législation réprime déjà. Erkan Saka doute de son efficacité. "Les gens ont appris à masquer leur identité, et à effacer leurs traces. Je crois qu'il sera difficile pour la police d'avoir des preuves, même si Facebook et Twitter acceptent de coopérer avec les autorités".
Une “gifle ottomane” pour Facebook et Twitter
Vendredi 28 juin, le ministre de la Communication, Binali Yıldırım, a exhorté les responsables des deux réseaux sociaux à collaborer avec le gouvernement. "C'est le droit le plus naturel pour la Turquie de réclamer que les réseaux sociaux ne constituent pas un moyen d'incitation à la violence", a-t-il argué selon l'AFP. Face aux refus répétés des principaux intéressés, le ministre a menacé ces derniers de leur asséner une"gifle ottomane" (en référence aux gifles que les soldats ottomans pratiquaient contre des blocs de marbre pour leur entraînement).
De son côté, l'un des responsables du MİT (les services de renseignement turc) a nié hier les allégations selon lesquelles l'organisation gouvernementale aurait procédé à la collecte de données privées, recueillies illégalement sur les réseaux sociaux. "Le MİT agit dans les limites de son autorité et de ses droits. Le MİT n'a de toute façon ni les moyens ni le temps de procéder à de tels agissements", s'est défendu ce responsable dans une interview avec le quotidien Habertürk.
30.000 sites censurés
Ce n'est pas la première fois que le pouvoir turc entre en conflit avec un géant d'Internet. De mai 2008 à octobre 2010, le site de partage de vidéos Youtube avait été censuré en raison de la diffusion de vidéos jugées offensantes à l'égard du fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk. Plus largement, la loi 5651, votée en 2007 aussi bien par l'AKP que par les principaux partis de l'opposition, a entraîné la censure de plus 30.000 sites internet, selon le site engelliweb.com.
Comme le rapporte le site de Reporters sans frontières, l'article de 8 de la loi "autorise le blocage de l’accès à certains sites s’il existe de simples “soupçons suffisants” de l’existence d’un des huit délits suivants : incitation au suicide, exploitation sexuelle et abus d’enfants, encouragement à l’usage de drogues, fourniture de substances dangereuses pour la santé, paris en ligne, obscénité, crimes commis contre la mémoire d’Atatürk." Selon les observateurs, il semblerait que ces deux dernières dispositions aient conduit à une interprétation très large du texte législatif, et entraîné une multiplication du nombre de sites Internet censurés.
Jonathan Grimmer (http://www.lepetitjournal.com/Istanbul) mardi 2 juillet 2013

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