lundi 17 juin 2013

#OCCUPYGEZI – Des négociations aux violences, trois jours en crescendo

Recep Tayyip Erdogan n'avait cessé d'insister ces derniers jours pour que les manifestations qui secouent la Turquie depuis le 31 mai se terminent ce week-end. Renouvelant les avertissements jusqu'à samedi, le Premier ministre turc a ordonné aux forces de l'ordre de déloger les nouveaux locataires qui s'y étaient installés.
Vendredi 14 juin
Les négociations se poursuivent. Dans la nuit de jeudi à vendredi, Recep Tayyip Erdoğan s’est entretenu une nouvelle fois avec 16 personnalités, dont plusieurs acteurs et intellectuels, et des membres de la plateforme “Solidarité Taksim”, principale coordination des associations qui occupent le parc. Lors d'un discours prononcé à Ankara le jour même, le Premier ministre promet de suspendre le projet d'aménagement du parc le temps que la justice tranche définitivement. Il exhorte ensuite les centaines d'occupants à quitter le parc en espérant que “tout sera fini d'ici ce soir.” Dans l'après-midi, la vidéo de l'eurodéputé Paul Murphy condamnant les réactions violentes et successives de Recep Tayyip Erdoğan fait le tour des réseaux sociaux. La BBC décide de suspendre son partenariat avec la chaîne nationale turque NTV pour sa couverture médiatique partiale des événements et pour n'avoir pas diffusé un reportage de ses journalistes. Les protestataires se consultent pour décider de la marche à suivre : accepter ou refuser les gestes de conciliation du gouvernement. Les occupants du parc restent sur leur garde. “Il va encore tricher. Nous n'avons plus confiance du tout”, raconte l'un d'entre eux. Les manifestants cohabitent avec la police à Taksim depuis trois jours. L'atmosphère de la place traduit un fragile apaisement mais la tension reste palpable. Davide Martello, pianiste allemand de 31 ans, s'est installé près du Monument de la République. “Je joue pour les manifestants et la police.” Le musicien bercera la ville tantôt sur des chansons des Beatles tantôt sur des airs d'opéra jusqu'au petit matin.
Samedi 15 juin
La plateforme Taksim solidarité annonce samedi matin qu'elle ne quittera pas les lieux. A Ankara, des milliers de personnes rejoignent le meeting du Premier ministre dans une lointaine banlieue de la capitale. Recep Tayyip Erdoğan durcit à nouveau sa rhétorique. “Je le dis clairement si Taksim n'est pas évacuée, les forces de sécurité de ce pays sauront comment l'évacuer.” Après avoir qualifié une nouvelle fois les manifestants de “voyous” et “d'extrémistes”, il salue ses partisans qui donnent “la vraie image de la Turquie”.
Avenue Istiklal samedi soir (photo DJ)
A 20h50, les policiers évacuent la foule du parc en quelques minutes à coup de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de balles en plastique. Les autorités arrachent les pancartes, déchirent les tentes. L'accès au parc est également refusé aux journalistes. Egemen Bağış, ministre chargé des Affaires européennes, annonce simultanément à la télévision que “ceux qui resteront sur la place seront considérés à partir de maintenant comme membre d'une organisation terroriste”.
Ces propos et la violence des interventions policières déclenchent à nouveau la mobilisation de milliers de contestataires. “C'est le point de non retour”, affirme l'un d'eux. A minuit, la tension est à son comble près de l'hotel Divan. Claudia Roth, députée européenne favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union Européenne, est sur place. Les TOMA (véhicules de la police transportant les canons à eau, ndlr) bloquent les quatre artères menant à la place. Une jeune femme rapporte : “Si un jour la Turquie a été une démocratie, on est certain qu'aujourd'hui, elle ne l'est plus !” En scandant des marches d'Atatürk et en appelant le Premier ministre à démissionner, les contestataires tentent de rejoindre Taksim, le berceau du mouvement, toute la nuit sans succès. Izmir et Ankara manifestent leur solidarité, sans incident.
Dimanche 16 juin
A l'aube, d'importants effectifs de police interdisent l'accès à la place Taksim. Les bulldozers procèdent au nettoyage de la place et effacent les dernières traces des violences de la nuit. Vers 10 heures, les heurts reprennent de plus belle dans les quartiers environnants – Şişli, Harbiye et Cihangir étant les plus touchés. Pour la première fois à Istanbul, des unités de gendarmerie, force militaire dépendant en temps de paix du ministère de l'Intérieur, sont déployées sur l'un des deux ponts du Bosphore pour enrayer la marche des protestataires venant de la rive asiatique. Le bilan de la nuit fait débat. L'Union des médecins turcs parle de centaines de blessés, le gouverneur d'Istanbul annonce en annonce 44, et trois policiers blessés par balle. Dans la matinée, la police procède à de nombreuses arrestations. Les forces de l'ordre se rendent également au domicile des membres fondateurs du club de supporters de l'équipe de football de Beşiktaş, pour les arrêter. Les violences reprennent dans la capitale, à l'occasion des funérailles du troisième manifestant mort depuis le 31 mai.
A 18h, le Premier ministre tient comme prévu son second meeting du week-end à quelques kilomètres des manifestations. II opposant les partisans de l'AKP et les “voyous” de Taksim. Désormais, cinq syndicats appellent à la grève général dès ce lundi matin: à KESK, s'ajoutent la TTB (l'union des médecins turcs), DISK, TDHB (l'union des dentistes turcs) et la TMMOB (l'union des chambres des architectes et urbanistes turcs). Les affrontements se poursuivent jusque tard dans la nuit.



Diane Jean (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 17 juin

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