vendredi 21 juin 2013

CHRONIQUES D’UNE FRANÇAİSE À MARDİN – Le bazar du vieux Mardin

Dans la partie basse de la vieille ville se trouve le bazar, autrefois lieu grouillant d’échanges et de rencontres, point de passage incontournable, cœur de la vie sociale locale et des environs. Les anciens aiment à le raconter presque comme une légende, réputé dans toute la région pour ses artisans et ses échoppes, animé, coloré. Mais aujourd’hui, ils se le rappellent avec nostalgie, et les artisans ont bien du mal à survivre. Bien sûr les modes de vie changent et la société avec, mais je peux dire avec certitude que sa reconversion n’a pas été bien pensée, elle a même été oubliée.
C’est évident, les voyageurs n’ont à présent plus aucun tracas pour trouver un lieu où passer la nuit, la vieille ville regorge de tellement d’hôtels, maisons d’hôtes et pensions, qu’on finit parfois presque par se demander où se trouve l’entrée parc. J’ai peur pour toi, ton âme, Mardin. Les vieilles pierres de ton essence, habituées à vivre de longues histoires, avec ces personnages inscrits dans le fil du temps, se retrouvent aujourd’hui à vivre les épisodes d’une longue série dont les figurants changent chaque jour…
Photo MJD
Les temps sont durs et la mairie ne semble pas penser à mettre en place un quota limite d’hôtels (déjà trop nombreux) dans la vieille ville. Puis il faut avouer que ces deux dernières années ont été un vrai désastre pour les habitants et artisans de la vieille ville. En effet, suite à des travaux de grande ampleur concernant la rénovation de tout un système de canalisations, et la soi-disant remise à neuf de la rue principale, ces derniers ont vu leur nid doré se transformer en un énorme chantier chaotique. Rues et ruelles creusées puis laissées telles des plaies béantes pendant des mois, bâtiments historiques endommagés suite à l’utilisation abusive de gros tractopelles sur un site pourtant protégé, coupures d’eau, inaccessibilité quasi-totale... Pour résumer, des habitants livrés a eux-mêmes, un vrai désastre social et économique.
Ces travaux n’ont contribué qu’à une plus grande isolation de ces habitants, déjà mis à mal par l’exode vers la nouvelle ville de nombreux services (banque, école, hôpitaux, mairie, préfecture….). Aucun plan de reconversion à visée sociale n’a été pensé, le bazar et ses habitants ont clairement été oubliés, on y voit ainsi de plus en plus d’artisans installer devant leur boutique un canapé où ils s’allongent à présent pour passer le temps.
Bien sûr tout n’est pas noir dans ce tableau, il est aussi des initiatives positives. On peut ainsi constater dans un premier temps la restauration de nombreux bâtiment historiques depuis une grosse dizaine d’années, une prise de conscience autour de ce patrimoine presque à l’abandon, et une longue marche vers une possible candidature au patrimoine de l’humanité. On peut aussi remarquer depuis ces cinq dernières années l’investissement des lieux par des instances à visée éducative et culturelle ; l’université par exemple, dont de nombreux cours (langues et architecture) se déroulent à présent dans certains bâtiments de la vieille ville.
Photo MJD
Quelques associations de la ville ont ainsi installé leur quartier général, dans certaines des vieilles maisons. Ces initiatives permettent ainsi un réel échange avec ses habitants. Oui, le véritable changement ne se pense pas, il se vit. Ainsi on a vu ces dernières années avec la création de festivals, d’expositions, du cinéma solaire, la mise en place d’expériences magiques… Par exemple, lors du dernier festival de théâtre jeune public, un théâtre de marionnettes a été installé dans un des gros cafés de la ville (généralement réservé aux hommes). Pendant une semaine, on a pu voir tous les soirs femmes et enfants débarquer au café pour rire en toute mixité et tout honneur!!!
Le changement est un acte, pas une pensée ! Et puis il faut noter la résistance de quelques artisans, se refusant de vendre du tout-prêt, du made in China ou India, perpétuant leur savoir faire, malgré le manque d’aide des autorités et le prix des matières premières qui augmente chaque jour. Pas de bénéfices mais leur honneur est intact. Oui, ces artisans sont là, mais ils vieillissent, et leurs enfants auront-ils la force de continuer ce chemin de croix où certains ont déjà beaucoup perdu…
Photo MJD
Alors voilà, je ne peux m’empêcher de ressentir une grande nostalgie lorsque je déambule dans les ruelles du vieux bazar. L’agitation présente il y a neuf ans lors de ma première venue n’est plus la même, car nombre de ses habitants ont dû descendre vers la nouvelle ville. Tant de savoir-faire et de savoir-vivre sacrifiés sur l’autel du profit facile. Bien sûr il y a des initiatives positives, mais ces dernières laissent souvent de côté sa population. La donnée sociale est complètement oubliée au profit de la donnée touristique et culturelle. Mais comment est-ce possible ?
Comment les autorités ont pu en arriver à oublier l’âme même de la ville ? Comment peut-on proposer des relogements dans des tours de béton à ces individus qui ont grandi au milieu de ces pierres ocres face a l’immensité de la Mésopotamie ? Et puis quelle est la valeur de ces pierres dorées, sans ses habitants? Véritable mémoire, conscience, âme de la ville… Les rires des enfants burinés sous le soleil finiront-ils par s’envoler pour ne résonner plus qu’un jour comme un lointain écho ?
J’ose espérer une prise de conscience autour de ce patrimoine immatériel, mais les résistants se fatiguent, alors il faut faire vite…
Myrtille Jacquet Duyan (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 21 juin 2013

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