jeudi 13 juin 2013

TAKSİM - L’histoire derrière le lieu public

Derrière les événements liés aux transformations de la place de Taksim, qui prennent depuis deux semaines une tournure contestataire, se cache une histoire forte. Le choix de la place Taksim et du parc attenant comme lieux de protestation n’est pas anodin. Selon le chercheur Orhan Esen, qui donnait hier soir une conférence à la galerie SALT de Beyoğlu, ce choix se rattache à l’évolution de l’aménagement du lieu public. Depuis le projet de modernisation de la ville d’Istanbul entrepris par l’architecte français Henri Prost, cette place où s’entremêlent classes sociales et nationalités endosse un rôle central dans la vie des Stambouliotes.
Sous l’Empire ottoman, la place Taksim n'occupait pas une telle importance aux yeux de la population et des urbanistes. Elle était recouverte de cimetières musulmans et arméniens. Puis, entre la fin du XVIIème et le début du XVIIIème siècle, des casernes militaires sont sorties de terre à cet emplacement.
Photo © SALT
Leur construction devait être l'un des signes de la modernisation de l’armée ottomane et de l’organisation de l’Empire. Suite à une tentative de coup d’Etat en 1908, les monuments militaires ont subi d'importants dégâts et ont laissé place à Taksim, une quinzaine d’années après, à un lieu de loisir : un stade de football.
Un lieu de passage
A la fin des années 30, peu après que la Turquie a été proclamée République, de gros aménagements urbains commencent. Henri Prost est choisi pour orchestrer le projet. En observant les plans d’Henri Prost, il est évident que Taksim devient “le coeur d’Istanbul”, souligne Orhan Esen. Suite à diverses transformations, comme la construction d’une rampe toujours présente de nos jours, Taksim est converti en une plaque tournante, plus précisément un lieu de transit où peuvent aussi circuler les automobiles. Encore une fois, la place est adaptée à la modernisation de la Turquie. Lorsque les statues d’Ataturk et d’Inönü sont érigées sur la place, cette dernière se métamorphose en symbole du prestige de la République, rapporte Orhan Esen.
Un espace public propice aux rassemblements
L’étendue de la place Taksim et son symbolisme sont deux attributs que la population n’a pas négligé. Petit à petit, sa fonction évolue et devient plus qu’un lieu de passage. La large superficie de ce lieu public la destine à devenir un point de rassemblement social. Des manifestations ont lieu, comme celle de février 1969 connue sous le nom de “Dimanche ensanglanté”. La mort de 37 manifestants de gauche lors du rassemblement pour la Fête du travail du 1er mai 1977 est une autre date qui restera gravée. Suite à cette tragédie, le gouvernement a strictement interdit les manifestations de ce genre sur la place de Taksim.
La reinterprétation de la place par le gouvernement Erdoğan
Le projet d’urbanisation souhaité par le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan provoque depuis le 31 mai la colère des manifestations à Taksim et menace de transformer profondément la fonction de la place. “C’est une rupture directe avec l’ancien modèle”, avance le chercheur Orhan Esen. Le souci de "contrôle de masses" est l'une des préoccupations majeures d’Erdogan, assure Orhan Esen, pour qui la construction d’un centre commercial serait un moyen de réduire et de diviser l’espace afin d’éviter le rassemblement de la population.



Elisa Girard (www.lepetitjournal.com/Istanbul) jeudi 13 juin 2013

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