Par Fouad Bahri | ZAMAN FRANCE jeu, 21/06/2012 - 17:02
La décision historique du gouvernement turc d’autoriser l’enseignement du kurde, à l’école publique représente une nouvelle étape de sa politique d’ouverture à l’égard de la première minorité de Turquie. Mais pour certains commentateurs, si cette décision est un «pas audacieux», elle s’avèrera insuffisante à résoudre la question kurde.
«S’il y a un nombre suffisant d’élèves, le kurde pourra être choisi comme matière optionnelle». Cette déclaration du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan annonçant officiellement le 12 juin dernier l’entrée dans les écoles publiques turques de l’enseignement, en cours optionnel, du kurmanci, langue kurde du Sud-Est de la Turquie, a déjà été présentée par la presse et plusieurs éditorialistes comme un événement historique pour les Kurdes. «Nos élèves [...] pourront désormais apprendre les langues et dialectes locaux» avait ajouté le chef du gouvernement turc qui franchit là une nouvelle étape dans l’octroi de droits culturels aux 12 à 15 millions de Kurdes de Turquie. Les Kurdes pouvaient jusqu’alors apprendre leur langue maternelle dans des établissements privés ou à l’université, mais pas à l’école publique. Les restrictions visant la langue kurde avaient été progressivement abandonnées ces dernières années et une chaîne nationale diffusant entièrement en kurde, TRT6, émet depuis 2009. Pour le chroniqueur Emre Uslu, cette décision est un nouveau «pas en avant» de l’administration Erdogan. «La Turquie a enfin atteint un niveau où débattre de diverses questions concernant la question kurde en profondeur est possible. Donner le droit d’apprendre la langue kurde dans les écoles publiques est un pas audacieux» écrit-il dans les colonnes de Zaman.
Une mesure défendue par Fethullah Gülen
Cette exigence culturelle légitime pour la minorité kurde était attendue depuis longtemps à un moment où le conflit politico-militaire entre l’Etat et le PKK s’enlise dans un statu quo de plus en plus préoccupant pour le pays. C’est en ce sens que s’était exprimé, il y a huit mois, le penseur Fethullah Gülen sur le site herkul.org soulignant que «même aux Etats-Unis, les écoles proposent des cours de turc en option. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour le kurde dans les écoles turques ?». Mais d’autres voix soulignent les limites et l’insuffisance de cette décision quant à la résolution du problème kurde. C’est le cas de Fatma Disli Zibak qui qualifie cette mesure de «geste historique, mais tardif» selon le titre de sa tribune publiée sur Zaman, même si elle considère qu’elle représente «une étape supplémentaire du renforcement de la démocratie en Turquie». Sur le plan politique, cette annonce du gouvernement qui semble vouloir damer le pion politique aux organisations militaires kurdes (PKK, KCK) en recentrant la question kurde sur le terrain des droits sociaux, n’a pas créé de consensus. Les cadres du PKK qui avaient fait de cette revendication culturelle l’un de leurs chevaux de bataille se retrouvent dorénavant face à leurs contradictions. C’est l’avis du chroniqueur Emre Uslu qui souligne le décalage entre les objectifs des mouvements kurdes et les aspirations des populations.
La solution sera politique, non linguistique !
«De nombreuses familles ne se soucient pas de l’éducation en kurde. Seules les familles politisées veulent que leurs enfants reçoivent une bonne éducation en kurde. Par conséquent, il existe des tensions internes entre les familles qui ne s’en soucient pas et des réseaux politiques qui exercent une pression sur les familles pour qu’elles promeuvent cette éducation» explique-t-il. Un décalage que les partis nationalistes comme le MHP s’empresseront d’exploiter pour discréditer cette politique d’ouverture mise en place par l’AKP. Autre obstacle, l’application d’une telle mesure. De nombreux commentateurs font d’ores et déjà valoir la résistance future des directeurs d’écoles «nationalistes» pour ne pas appliquer cette directive et les excuses qu’ils invoqueront : manque d’enseignants, classes limitées... Pour Hasan Elmas, directeur du département d’Anthropologie à Paris VIII et maître de conférence en Sciences politiques, «la portée symbolique de l’affaire est importante car pendant toute l’ère du kémalisme jusqu’à Erdogan la langue kurde était un tabou» dit-il. «Cette annonce ferme définitivement cette question et ouvre la voie à la reconnaissance des droits culturels, linguistiques et politiques des Kurdes de Turquie. La solution sera politique mais que le pouvoir prenne de telles décisions crée les conditions d’un vivre-ensemble entre Turcs et Kurdes et donc d’une solution politique pacifique dans une Turquie unitaire» explique l’universitaire.
Paris
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