Hier soir, les bandeaux d'ampoules colorées qu'arborent cinq des mosquées d'Istanbul se sont allumés pour la première fois depuis un an. Issue d'une tradition artisanale, l'illumination des “mahya” a marqué l'entrée des musulmans dans leur mois de jeûne. Chaque année depuis quatre siècles, ces guirlandes suspendues dans les airs éclairent les mosquées de la ville toutes les nuits du Ramadan.
Chaque année, on se déplace de toute la Turquie pour admirer le spectacle nocturne. Les mahya (littéralement “écrire dans le ciel”, ndlr), suspendus entre deux minarets, ont été allumés symboliquement hier soir, première nuit du mois de jeûne du Ramadan. Composées de petites ampoules électriques, ces guirlandes qui flottent au-dessus des dômes de cinq mosquées d'Istanbul sont en réalité de véritables épigraphes religieux. Chacune de ces illuminations est porteuse d'un message différent.
Au fil du Bosphore, on aperçoit les cinq mahya qui brillent sur les deux rives. Près de la Corne d'Or, on admire les ornements d'ampoules des mosquées Süleymaniye et d'Eyüp Sultan.“Ey Oruç Tut Bizi” (Ô jeûne, tiens nous) peut-on lire au-dessus de la Yeni Camii d'Eminonü. Côté asiatique aussi, à Üskudar, les ampoules sont allumées :“Hoşgeldin Onbir Ayın Sultanı” (Bienvenue au Sultan des onze mois). Pionnière dans cet art de lumière, la Mosquée Bleue, qui a accueilli le premier mahya il a plus de 450 ans, reste fidèle au poste. A Sultanahmet (photo de gauche, DJ), la plus grande mosquée du pays scintille : “Merhaba Ya Şehri Ramazan” (littéralement, Bonjour Ô Ramadan).
Kahraman Yıldız, l'un des derniersmaîtres mahya d'Istanbul
Surnommé Süleyman usta (maître Süleyman, ndlr), Kahraman Yıldız travaille au sein de l'atelier de mahya de la Direction régionale des fondations d'Istanbul. Il est artisan mahya depuis qu'il a 18 ans. Son père lui a transmis le métier, comme le veut la tradition. Dans son atelier, le maître mahya et quelques collègues électriciens s'emploient à visser une par une les ampoules et à ajuster la longueur des fils électriques jusqu'à obtenir les bandeaux de lampions désirés. La composition des messages sur les guirlandes relève d'un véritable design artisanal.
Une manifestation religieuse, autrefois politique
Mercredi dernier, toute l'équipe s'est rendue dans les cinq mosquées d'Istanbul pour hisser les mahya entre les minarets. “J'aime mon métier” raconte Kahraman Yıldız. “C'est comme ci j'ornais le ciel de ces merveilleux colliers”. Ce week-end, l'artisan a également accroché ses “colliers” entre les minarets de la Ulu Camii de Bursa. Chaque semaine, ces guirlandes faites à la main seront remplacées par des nouvelles, changeant les messages au-dessus des coupoles des mosquées.
La Yeni Camii d'Eminönü (photo DJ)
D'après l'agence de presse Anatolie, le premier mahya a été accroché il y a 450 ans. Le muezzin Hâfız Ahmed Kefevî de la mosquée de Fatih avait suspendu une rangée de bougies. Flatté, le sultan a alors ordonné que la tradition se perpétue dans les mosquées dites selatin – dont la construction a été ordonnée par un sultan ottoman. Dans les premières années de la République de Turquie, les mahya ont adopté un ton plus politisé appelant à “Prendre soin des orphelins” ou à “Consommer les biens nationaux”. Aujourd'hui, les mahya célèbrent uniquement le Ramadan.
Un art en perdition ?
De cette tradition locale est né un artisanat qui se transmet de père en fils. Il y a quelques années, chacune des mosquées selatin d'Istanbul disposait de sa propre équipe de maîtres mahya. En 2012, ils étaient seulement sept à décorer la ville de ces colliers de lumières dont quatre ont plus de trente ans de métier. Pour éviter la perdition de l'art des mahya, la Direction des fondations a lancé l'an dernier un programme de formation pour quatre électriciens.
Quelques photos prises hier soir au moment de la prière "teravih" (prière quotidienne du soir, exécutée pendant le mois de jeûne du Ramadan à partir de la veille du premier jour du mois):
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