Latif Demirci, dessinateur du quotidien Hürriyet, choisit d’illustrer par l’absurde une habitude souvent reprochée au Premier ministre Erdoğan: polémiquer pour changer de sujet.
“Je n’affirme pas que les extraterrestres ont construit les pyramides d’Égypte, je dis qu’il faut en discuter!..” Recep Tayyip Erdoğan n’a jamais prononcé ces mots que lui prête Latif Demirci dans une caricature récente. Mais il en a prononcé d’autres, tout aussi inattendus, qui ont fait polémique pendant des jours et des semaines.
Des pyramides martiennes ? “Eh bien cette fois, il déplace l’ordre du jour au Moyen-Orient…” constate le journaliste croqué par Latif Demirci. Changer l’ordre du jour, polémiquer pour polémiquer et faire oublier, aux médias notamment, certains sujets qui fâchent : le Premier ministre turc est coutumier de cette critique.
Fin mai, il assimile publiquement l’avortement à un “meurtre”. Gros titres des journaux, manifestations, ministres qui renchérissent, nouvelles manifestations, nouvelle série de gros titres… Jamais l’IVG n’avait autant fait polémique depuis sa légalisation il y a près de 30 ans. Pendant plusieurs semaines, la Turquie ne parle que de cela, ou presque, et oublie les révélations du Wall Street Journal sur la mort de 34 contrebandiers kurdes, fin décembre 2011, dans un raid aérien de l’armée turque.
En novembre, c’est sur la peine de mort que chacun donne son avis. Abolie il y a dix ans, absente des débats depuis, elle revient dans l’actualité lorsque le Premier ministre s’y déclare favorable. A la même époque, des centaines de prisonniers kurdes refusent de s’alimenter pour attirer l’attention sur leurs revendications. Le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation d’opposition, accuse le gouvernement de manœuvres de “diversion”. Le Parti de la paix et de la démocratie (BDP), dont plusieurs députés pourraient perdre leur immunité à la demande du Premier ministre, formule le même genre de critiques.
Conviction ou calcul ? Recep Tayyip Erdoğan veut-il vraiment interdire l’avortement, rétablir la peine de mort, censurer les réalisateurs de séries qui réinventent l’histoire? Ou bien veut-il "simplement" imposer l’ordre du jour politique et médiatique, quitte à sembler battre en retraite quelques semaines plus tard ? Emre Uslu, dans Today’s Zaman, opte pour la seconde hypothèse : “Pour comprendre la politique d’Erdoğan, il ne faut pas s’attacher à ce qu’il dit mais aux raisons pour lesquelles il le dit”, écrit-il dans une chronique intitulée : “La méthode Erdoğan”. Une méthode qu’il juge efficace, mais risquée.
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) vendredi 7 décembre 2012
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