jeudi 26 juillet 2012

SAINTE-SOPHIE – Sera-t-elle un jour convertie en mosquée ?




Elle est l’un des symboles, peut-être bien le symbole d’Istanbul. Ancienne église construite au 6ème siècle, devenue mosquée au 15ème, la Sainte-Sophie d’Istanbul n’est plus un lieu de culte depuis 1934. A cette époque, elle est devenue musée et reste aujourd’hui le monument le plus visité de Turquie. Or, des associations musulmanes font activement campagne pour que Sainte-Sophie redevienne une mosquée. Sans succès, pour l’instant
Sainte-Sophie au crépuscule (David Spender, Flickr/CC)
Des haut-parleurs de la Mosquée bleue, l’appel à la prière retentit. Juste en face, Sainte-Sophie reste silencieuse.
L’Ayasofya des Turcs peut bien sembler chrétienne avec ses mosaïques et musulmane avec ses quatre minarets, elle n’est ni l’une ni l’autre. A Sainte-Sophie, on ne prie pas, on visite – comme trois millions de personnes l’an dernier. Aucune règle vestimentaire n’est indiquée à l’entrée et le brouhaha qui l’agite rappelle davantage un hall de gare qu’un lieu de culte.
“Sainte-Sophie est une mosquée”
A partir de 537 et pendant plus de neuf siècles, Sainte-Sophie est restée la plus grande église de la chrétienté, un joyau légué par l’empereur byzantin Justinien. Lorsque les Ottomans s’emparent de Constantinople, en 1453, ils la convertissent immédiatement en mosquée.
Depuis 1934, depuis que Mustafa Kemal Atatürk a transformé l’édifice en musée, ce statut est contesté. Des associations musulmanes militent pour regagner le droit de se prosterner sous sa coupole. A défaut, il leur arrive d’organiser des prières aux portes de Sainte-Sophie, comme ce fut le cas en mai dernier. Ce jour-là, l’Association de jeunesse anatolienne, l’AGD, avait rassemblé plusieurs milliers de fidèles.
Mehmet II a acquis Sainte-Sophie en vertu du droit de la guerre. Elle est devenue le symbole de la conquête de Constantinople. Le sultan l’a offerte aux Musulmans en la transformant en mosquée, ce qu’elle est restée pendant près de 500 ans” martèle Serhat Akçay, président de l’AGD à Istanbul. “Il est donc parfaitement injuste qu’un lieu de culte musulman soit transformé en musée et interdit à la prière. Sainte-Sophie est une mosquée et nous demandons à ce qu’elle soit utilisée ainsi” poursuit-il.
Rapports de force religieux
Sainte-Sophie est non seulement un symbole d’Istanbul mais aussi le monument le plus visité de Turquie. Si le musée redevenait mosquée, rien ne changerait pour les touristes, assure Serhat Akçay. Comment entrent-ils dans la Mosquée bleue ? En se couvrant la tête et les jambes à l’entrée. Avons-nous jamais empêché qui que ce soit de visiter cette mosquée ? Non, et il en irait de même pour Sainte-Sophie”, assure-t-il, ajoutant que l’entrée serait alors gratuite, contre 25 TL réclamés aujourd’hui.
Le gouvernement turc semble peu réceptif à cette proposition. D’autant qu’en 2008, une chambre du conseil d’Etat a déjà refusé d’annuler le changement de statut de 1934. Dans le même temps, certaines ONG chrétiennes, souvent basées à l’étranger, font campagne pour que Sainte-Sophie redevienne une église.
Sainte-Sophie transformée en mosquée dans une caricature du quotidien islamique Yeni Asya
Si Sainte-Sophie redevenait un lieu de culte, cela aurait un impact négatif sur le tourisme. Bien sûr que le tourisme ne fait pas tout, bien sûr que je respecte les croyances d’autrui… Mais il y a largement assez de mosquées à Istanbul puisqu’elles sont plus de 3.000”, explique Saffet Emre Tonguç. Selon ce guide et historien spécialiste d’Istanbul, “ces débats ne sont rien d’autre que des rapports de force religieux. Les mosaïques de Sainte-Sophie figurent parmi les plus belles de la période byzantine. Faudrait-il les cacher si Sainte-Sophie redevenait une mosquée ?“
”Un symbole de l’amitié entre les religions”
"Les mosaïques aux étages pourraient être préservées", rétorque Serhat Akçay, de l’AGD. "Il n’y aurait même pas besoin de les recouvrir, dit-il, contrairement à ce qui s’est passé en 1453, dans la mesure où les fidèles au rez-de-chaussée ne les aperçoivent pas". Quant à l’argument selon lequel il y a suffisamment de mosquées à Istanbul, Serhat Akçay estime qu’il n’est “pas sincère”.
A l'intérieur de Sainte-Sophie, les symboles de l'islam côtoient ceux du christianisme (LaoWai Kevin, Flickr/CC)
Mais pour Saffet Emre Tonguç, auteur d’un guide best-seller en anglais et en turc consacré à Istanbul, Sainte-Sophie est la fille de deux grandes religions et doit demeurer ainsi.A l’intérieur de Sainte-Sophie, vous voyez d’un côté les noms de Dieu et du prophète Mahomet et de l’autre, des mosaïques représentant Jésus et la Vierge Marie. Pourquoi vouloir transformer ce lieu en mosquée, alors qu’il représente un si beau symbole de l’amitié entre les religions ?” interroge-t-il.
L’an dernier, un édifice de la ville d’Iznik, ancienne église devenue mosquée puis musée, a rouvert au culte musulman. Il est connu sous le nom de Sainte-Sophie d’Iznik. Cette homonymie symbolique n’est pas pour déplaire aux responsables de l’AGD. Mais une chose au moins met tout le monde d’accord : pour ses admirateurs, il n’y a qu’une seule et unique Sainte-Sophie, la Sainte-Sophie d’Istanbul.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 26 juillet 2012

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