Par Seyfeddine Ben ... | ZAMAN FRANCE ven, 11/05/2012 - 09:36
Le Festival du printemps a été inauguré au Caire le 20 avril dernier par un groupe turc, Turkish Coffee. Le groupe, récemment créé, réunit artistes confirmés et jeunes talents. Après le Caire, il se produira à Beyrouth et Istanbul. Derrière l’appellation occidentalo-centrée Turkish Coffee («Café turc»), — dont l’aspect décalé est ici délibéré —, ils vont donc jouer, toujours plus à l’Orient, taqsim-s, peshrev-s et autres yürük semai-s résolument turcs, résolument orientaux. L’idéologie nationaliste avait voulu bannir définitivement cette musique ottomane, considérée comme à la fois relevant du passé et polluée d’éléments non turcs, — arabes et persans en l’espèce. Jusqu’en 1941, soit durant les dix-huit premières années de la République, l’apprentissage, l’interprétation et la diffusion radiophonique de la musique turque étaient interdits. Seule a eu grâce alors la musique occidentale — considérée comme «moderne» par essence —, le temps que soit créée «une nouvelle musique turque». Une musique dont la vocation était double : affermir le sentiment d’appartenance à la Nation turque sous la bannière de la République, d’une part, et, d’autre part, favoriser la modernisation de la nation. Cette musique ne pouvait qu’être issue de l’Anatolie, région qui, dans l’idéologie nationaliste, a conservé intact l’héritage de la culture turque originelle, celle des steppes de l’Asie centrale. Atatürk avait ici fait siennes les idées de Gökalp sur la musique et commencera très tôt à les traduire politiquement. Ni musicien, ni musicologue, et pas même mélomane, Ziya Gökalp (1875-1924) était avant tout un sociologue (lecteur de Durkheim) et un idéologue positiviste.
L’Anatolie, berceau du renouveau culturel en Turquie
Le nationalisme turc, qui prend forme dans les années 1911-1913, puisera abondamment dans ses œuvres. Pour Gökalp, la nation étant définie par la langue et la culture, c’est en Anatolie, au sein du peuple, qu’il faut retrouver les éléments fondateurs de la véritable turcité, qu’il s’agisse du vocabulaire, des proverbes, des contes et légendes, des récits héroïques, ou, en l’espèce, de la musique populaire. Cette affirmation vient en complément de la négation, de la révocation sans appel de toutes les formes issues de l’influence arabo-persane, et au premier chef la langue, la littérature et la musique ottomanes. Au répertoire classique ottoman (sarki), il s’agira donc de substituer l’ «authentique» musique populaire anatolienne (türkü). Deux problèmes se posent néanmoins, tous deux d’ordre technique pour le pouvoir kémaliste. Le premier est qu’il faut collecter cette musique, ce qui nécessite une méthodologie et un personnel compétent. Preuve si besoin était de l’extrême importance qu’accordaient les autorités kémalistes à la question, il sera fait appel à Bela Bartok, grand compositeur du XXe siècle, mais surtout pionnier de l’ethnomusicologie, qui a transcrit et enregistré des centaines de mélodies et chants populaires à travers l’Europe. L’Etat turc l’invitera à enseigner au Foyer du peuple d’Ankara en 1936 ; il formera ainsi toute une génération de musicologues turcs. Le second problème résidait dans le caractère archaïque du matériau collecté. Or un Etat moderne se devait d’avoir une musique capable de rivaliser avec la musique occidentale. On a alors procédé à la transcription dans le système d’harmonie occidental des mélodies anatoliennes qu’il s’agissait d’«affiner». Le compositeur et musicologue turc Rauf Yekta (1871-1935) décrira le produit de ces hybridations idéologiques comme étant des «monstres» esthétiques. Musique ottomane, turque, arménienne, kurde ou laze, toutes les musiques de Turquie auront néanmoins survécu au kémalisme.
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