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samedi 1 septembre 2012

Le chiisme : un schisme clérical en islam


Par S. Ben Mansour | ZAMAN FRANCE ven, 31/08/2012 - 15:31


Le 18 août dernier, le média en ligne Tiwinoo relatait un fait divers à la fois «drôle et triste» : un jouet pour enfants a provoqué l’ire des salafistes tunisiens. Il s’agit d’un pistolet en plastique qui, lorsqu’on appuie sur sa gâchette, diffuserait le message suivant : Go ! go ! go ! w-idhrab as-sayyida ‘Â’isha !, «Vas-y ! vite ! vite ! et tue ‘Â’isha !». Enclins aux théories du complot, les wahhabites tunisiens y ont vu quelque manœuvre sournoise des chiites destinée à pervertir leurs enfants… En réalité, le message appelait à sauver des otages (pull over and save the hostages !). ‘Â’isha, l’épouse du Prophète – «la Mère des croyants», pour l’ensemble des sunnites – demeure pour les chiites celle qui s’était opposée à ‘Alî, leur premier imâm. A l’origine du grand schisme qui, au VIIe siècle, va scinder la jeune communauté musulmane en sunnites, chiites et kharijites, la question de la succession califale, centrée autour du personnage de Ali Ibn Abi Talib, cousin, gendre et compagnon du Prophète. Succédant à Othman à la tête de l’Etat islamique, Ali, et, à sa suite, ses partisans, considèrent que seul un descendant du Prophète peut assumer la fonction califale. Ils s’opposent en cela aux sunnites, qui élargissent le cercle à l’ensemble des membres de Quraysh, la tribu de Muhammad. Pour les kharijites enfin, tout musulman, pour peu qu’il en soit digne, peut prétendre à l’éligibilité califale.
L’imâm est infaillible pour les chiites
A l’image de ce qui l’a fait naître, la divergence entre chiites et sunnites est d’ordre théologico-politique et centrée sur la figure de l’imâm. Pour les sunnites, le calife est essentiellement un souverain temporel. Son titre de Commandeur des croyants ne correspond pas à un magistère religieux, mais est lié au cadre islamique de l’Etat, cadre dont il lui incombe d’assurer la pérennité. Chez les chiites, le calife est imâm, et il a trois fonctions : diriger la communauté ; rendre compte des sciences religieuses et des lois ; être un guide spirituel pour les fidèles, qui à travers lui accèdent au sens caché des choses. Car, si le «cycle de la prophétie» s’est achevé avec la mort du Prophète, celui de l’«initiation» se poursuit à travers la personne de l’imâm. Pour toutes ces raisons, il ne saurait être choisi par le biais d’une élection. Chaque imâm est désigné par son prédécesseur, en vertu d’un «commandement divin». De par sa fonction à la fois humaine et cosmique, il est infaillible et connaît les choses cachées. Ce savoir ésotérique, intime, Dieu l’a secrètement communiqué à Muhammad lors de son Ascension, Muhammad à ‘Alî, et ainsi chaque imâm à son successeur. Aussi leur autorité doctrinale fait-elle définitivement loi pour l’interprétation du Coran et de la Sunna. Pour les sunnites, l’infaillibilité est le fait des prophètes et Dieu seul a connaissance des choses cachées ; quant aux interprétations, leur validité, par ailleurs relative, résulte d’un consensus. Ainsi, alors que dans le sunnisme la relation entre le croyant et Dieu est directe, le chiisme suppose un clergé. Dans sa forme duodécimaine (95 % des chiites), la hiérarchie est la suivante : simples mollâhs, hujjat al-islâm, âyatu Llâhs (collège de docteurs de la foi), et enfin, au sommet de la pyramide, l’âyatu Llâh suprême. En Iran, ce clergé – qui, historiquement, constitue un corps social très autonome, et largement indépendant, sur le plan économique, de l’appareil étatique – a dans une large mesure réussi à instaurer le velâyat-e faqih, le «gouvernement du docte», pouvoir éminemment temporel.

vendredi 10 août 2012

Abdülaziz, le sultan aux 24 statues



Mots clés : 

Le premier sultan ottoman à avoir visité l´Europe a été le sultan Abdülaziz. Dès son retour, il ordonna la sculpture d’un buste le représentant ainsi que de 24 autres statues destinées à décorer le Palais impérial. Aujourd´hui, ces statues sont dispersées dans tout Istanbul. La question des statues dans les palais ottomans a souvent fait l’objet de nombreux débats autour d’interrogations telles que «les statues avaient-elles un but uniquement décoratif ?» ou «que pensaient les sultans de cet art ?». Les réponses que nous trouvons nous référant aux sources historiques ne sont pas très claires. Du moins, ce fut le cas jusqu´à ce que l´Empire ottoman entre dans sa phase de modernisation. Les historiens n’évoquent pas le fait que jusqu´au XIIIe siècle, les sultans introduisaient des statues dans les palais ottomans. Il existe quelques allusions à Pargali Ibrahim, homme d´Etat de haut rang, faisant venir des statues de personnages importants de la mythologie grecque tels qu’Hercule, Apollon ou Dionysos, après une expédition ottomane en Hongrie. A partir du début du XIXe siècle, la présence importante des statues au sein de l´Empire ottoman devint davantage visible, en raison du fait que celles-ci étaient commandées directement par les palais ottomans».
Le premier sultan turc à se rendre en Europe
«Ces statues existent encore aujourd´hui. Emine Atalay Seçen, architecte paysagiste pour le service des palais nationaux du Parlement, a effectué des recherches sur l´histoire de ces statues. Selon elle, «les historiens voient l´année 1871 comme un tournant important pour l´art statuaire turc. Cette date marque le moment précis à partir duquel les statues ont commencé à s´inscrire de manière notable dans la vie sociétale de l’époque ottomane» a-t-elle déclaré au quotidien Zaman. «Je pense, poursuit-elle, que si nous souhaitons véritablement aborder la question de la présence des statues sous l’Empire ottoman, il convient de la replacer dans le contexte du voyage du sultan Abdülaziz en Europe parce qu’il était le premier dirigeant ottoman à se rendre en Europe. Au cours de son voyage, celui-ci remarqua les bustes et les statues ornant les palais des dirigeants européens et à son retour, il convia le sculpteur le plus célèbre du moment, C.F. Fuller à Istanbul, afin que celui-ci réalise un buste le représentant». Comme l’affirme Emine Atalay Seçen, le sculpteur Fuller s’est bel et bien rendu à Istanbul et sculpta un buste du sultan dans tous ses apparats royaux. C´est ainsi qu’Abdülaziz est devenu non seulement le premier sultan ottoman à aller en Europe, mais aussi le premier à commander un buste de sa personne. L’architecte turque a ajouté qu’il ne s’est pas contenté de commander un buste mais avait également souhaité la réalisation de 24 statues représentant divers animaux, destinées à la décoration du Palais Beylerbeyi. Ces statues sont devenues les premières à être officiellement accueillies par les palais ottomans. Après le règne d´Abdülaziz, certaines de ces statues ont été réparties à différents endroits et plus aucun autre monarque ottoman ne passa commande d´un buste à son effigie et ne fit faire de statues à des fins décoratives.

vendredi 3 août 2012

Le sens du jeûne dans les trois monothéismes





Ce vendredi 3 août, la lune aura parcouru la moitié de sa course, et les musulmans de par le monde, effectué la moitié de leur jeûne obligatoire du ramadan. Le jeûne, ou plus généralement l’abstinence, se rencontre dans un grand nombre de traditions religieuses. Celles qui existent en islam, et dont le ramadan est la forme exemplaire, s’inscrivent naturellement dans une tradition abrahamique, tradition dont l’islam est l’héritier, et dont il constitue le parachèvement. Cette filiation s’observe dans le terme même de sawm, qui, avant l’avènement de l’islam, signifiait «fait d’être au repos ». C’est dans le Coran que ce sens religieux de «jeûne / abstinence», jusqu’alors inconnu de l’arabe, apparaît pour la première fois. Ce sens n’était néanmoins pas inconnu du judéo-araméen et du syriaque, deux langues proches de l’arabe, et qui étaient employées dans les liturgies juives et chrétiennes. Le vœu de silence que fait Marie dans la sourate qui porte son nom (XIX : 27), vœu désigné par le mot sawm, correspondait de fait à une pratique ascétique chrétienne. Enfin, le jeûne de l’Achoura, et celui du ramadan, qui a abrogé le caractère obligatoire du premier (II : 179-181), ne sont pas, en la matière, sans rapport avec la tradition juive. Ainsi le chiffre 10, qui est lié au nom même de l’Achoura (‘ashara, «dix»), comme à sa position dans le cycle : le 10 du mois islamique de muharram est en effet le deuxième et dernier jour de ce jeûne de pénitence. Le parallèle avec les dix jours de pénitence qui, chez les juifs, précèdent Yom Kippour (le Jour du Grand Pardon) semble justifié. D’autant plus que les «jours comptés» pendant lesquels « vous a été prescrit le jeûne comme il l’a été à ceux qui vous ont précédés» (Coran : II, 180-184) pourraient, selon certains commentateurs, être au nombre de 10, et comme le sont, assurément, les jours de retraite spirituelle qui marquent le dernier tiers du ramadan.
Pénitence et abstinence dans l’Ancien Testament
On pourrait multiplier les rapprochements, mais sans doute, au-delà des similitudes formelles, le plus important est-il le sens donné au jeûne. D’emblée, dans le judaïsme, il est associé à la pénitence : on «sanctifie un jeûne» en signe de deuil, comme le firent le prophète Joël, face à la stérilité de la terre (I, 14), ou le roi David pour la mort d’Abner (2 Samuel : XII, 16). On jeûne également pour se préparer à un acte important : Esther (IV, 16) jeûna trois jours avant de se présenter devant le roi Assuérus et d’intercéder pour les juifs. Plus généralement, on jeûne dans l’espoir d’apaiser la colère divine : le jeûne public ordonné par le roi sauva Ninive d’une destruction certaine (Jonas : III, 7). Enfin, le jeûne est symbole d’une autre vie, d’une vie toute spirituelle, comme celui de Moïse sur le mont Sinaï, qui dura quarante jours et quarante nuits, durant lesquels il reçut les dix Commandements (Exode : XXXIV, 28). Le christianisme primitif perpétuera les usages judaïques, en y associant les mêmes valeurs, et peu ou prou les mêmes actes : abstinence jusqu’au coucher du soleil, pénitence, retraite, prière, mais aussi sollicitude pour les nécessiteux, actes et valeurs que l’on retrouvera dans la pratique islamique du jeûne. Plus tard, l’Eglise fera du jeûne une obligation canonique et en fixera le calendrier : le mercredi, le vendredi et le samedi, au commencement de chaque saison (Quatre-Temps), la veille de certaines fêtes (Vigiles), et enfin en Carême. Si sa discipline austère s’est maintenue chez les chrétiens d’Orient, depuis les Croisades et les guerres de religion, le jeûne n’a cessé de perdre de sa rigueur en Occident. Réduit à de faciles prescriptions, peu pratiqué, son esprit abrahamique demeure néanmoins entier.

samedi 28 juillet 2012

Des martyrs chrétiens saints d’islam : les gens de la Caverne


Par S. Ben Mansour | ZAMAN FRANCE ven, 27/07/2012 - 10:17


Le dernier week-end du mois de juillet aura lieu, comme chaque année à Vieux Marché dans les côtes d’Armor, le pèlerinage islamo-chrétien autour de la figure des Sept Dormants d’Ephèse, connus dans la tradition musulmane sous le nom de Ahl al-Kahf, «Ceux de la Caverne». Institué en 1954 par l’islamologue Louis Massignon, qui l’a greffé sur un antique pèlerinage breton, il s’agissait dans l’esprit de son fondateur d’œuvrer «pour une paix sereine en Algérie». Le pèlerinage a lieu depuis chaque année, selon le même rite : à la psalmodie en arabe de la sourate XVIII (Ahl al-Kahf) devant la fontaine, succède une messe, elle-même suivie, dans la nuit, d’un feu de joie accompagné d’un cantique populaire en breton appelé gwerz. L’ensemble est ponctué par un colloque rassemblant les représentants des trois religions monothéistes, ainsi que des agnostiques, dans un esprit de dialogue et d’ouverture à l’autre. Le corps du récit est, dans le martyrologue chrétien comme dans la sourate XVIII, à quelques détails près le même : fuyant des persécutions religieuses, de jeunes gens sont contraints de se réfugier dans une caverne ; ils sombrent alors dans un profond sommeil dont ils ne se réveilleront que plusieurs centaines d’années plus tard. Considérés comme des saints dans les deux religions, de nombreux sanctuaires leur ont été dédiés tant en Orient qu’en Occident, du Yémen à la Scandinavie, et de la Bretagne à la Chine, comme la mosquée Kara-Khodja, à Tourfan, dans le Turkestan oriental. Le sanctuaire originel est néanmoins en Turquie, non loin de la ville de Selçuk ; c’est, sur l’antique site d’Ephèse, celui du mont Peion (Panayir Dag), qui abrite également le Panaya Kapulu, la Maison de Marie, lieu de l’Assomption de la Vierge. Tous deux sont, aujourd’hui encore, fréquentés par des milliers de pèlerins tant musulmans que chrétiens (zyâra, en islam, ou «visite au mausolée d’un saint», par opposition à hajj, «pèlerinage à La Mecque»). Si dans les sociétés déchristianisées d’Occident les Sept Dormants sont de nos jours quasiment inconnus, y compris des croyants, ils demeurent en revanche unanimement connus en terre d’islam. La sourate des Compagnons de la Caverne est en effet lue chaque vendredi dans les mosquées, et ce, depuis les premiers temps, conformément à un hadith célèbre : «Celui qui récite la sourate al-Kahf le vendredi, une lueur sort de sous ses pieds jusqu’à l’horizon céleste, qui le fera resplendir au Jour du Jugement dernier, et ses péchés commis entre les deux vendredis lui seront pardonnés.»
Des témoins de leur «propre» résurrection
Dans la tradition chrétienne, les «Sept Saints dormants Maximien, Malchus, Marcien, Denis, Jean, Sérapion et Constantin» ont fait l’objet de cultes divers à partir du VIe siècle. Invoquer leur protection a été durant tout le Moyen Age une pratique courante en Europe, reprise plus tard par le protestantisme des origines, avant de tomber progressivement en désuétude. Parce qu’au péril de leur vie, ils ont refusé d’abjurer leur foi, les Sept Dormants comptent au nombre des nombreux martyrs chrétiens des premiers siècles. Témoins de leur propre «résurrection», ils figurent au plus haut rang des témoins de l’amour éternel divin pour s’être abandonnés à Dieu et avoir été l’objet de sa miséricorde. De même en islam, ils incarnent les croyants opprimés par une force politique qui les empêchent de vivre librement leur foi, et qui décident de s’exiler volontairement s’en remettant à la volonté divine. Leur loyauté inébranlable, justement récompensée, souligne la nécessité de se confier à Dieu même dans les cas les plus désespérés.
Tunis

vendredi 29 juin 2012

Ces dhimmis qui gouvernèrent les musulmans


Ces dhimmis qui gouvernèrent les musulmans


Pour la première fois dans l’histoire de la République, huit députés issus de la «diversité» ont été élus le 17 juin dernier, parmi lesquels cinq sont originaires du Maghreb. Un mois plus tôt, le gouvernement formé par Jean-Marc Ayrault comptait déjà quatre membres issus de l’immigration et trois de l’Outre-mer. Ce phénomène nouveau montre notamment qu’il s’en faut de beaucoup que l’égalité de droit se traduise par une égalité de fait. Cette égalité de droit est elle-même très récente à l’échelle de l’Histoire. Pendant longtemps, dans les sociétés multiethniques et multiconfessionnelles, – comme l’étaient souvent les sociétés d’islam –, le droit musulman, et plus généralement la morale islamique, ont constitué le meilleur cadre légal et éthique en matière de vivre-ensemble. En témoigne entre autres l’accession aux plus hautes fonctions de l’Etat de chrétiens, de juifs, mais aussi d’anciens esclaves (ainsi, les dynasties mameloukes). Le statut légal de dhimmî, ou «protégé non musulman», à la fois inégalitaire et protecteur, communautariste et tolérant, garantissait les biens, les personnes, la liberté de culte ainsi que le droit pour les communautés de se gérer de manière autonome, dans le cadre d’une loi générale englobante qui institue la supériorité symbolique du droit islamique. Sur le plan politique, ce statut aura notamment permis le maintien durable de pouvoirs musulmans sur des populations très majoritairement non musulmanes, comme ce fut le cas aux premiers temps de l’islam, grâce à la participation des dhimmîs. Un jour que le calife ‘Umar (586-590) rendait visite à Abû Mûsâ, son gouverneur à Kûfa, en Irak, ce dernier lui apprend que son secrétaire est chrétien ; Umar s’en offusque, mais Abû Mûsâ, pragmatique, le rassure : «sa religion est à lui, son secrétariat est à moi»… La police du calife Mu‘âwiya (602-680) est ainsi exclusivement composée de chrétiens.
L’entente cordiale entre Normands et musulmans
A Damas, capitale de l’Etat omeyyade, vaste empire qui s’étend de Narbonne à l’Indus, la plupart des fonctionnaires sont chrétiens. Parmi les hauts fonctionnaires, on compte Yuhannâ ad-Dimashqî (Saint Jean Damascène), ministre des finances et futur Père de l’Eglise. Dans Tartîb al-madârik, al-Qâdhî Iyâd relate l’accueil plein d’égards que fit Ismâ‘îl Ibn Ishâq à ‘Abdûn Ibn Sâ‘id, ministre chrétien du calife abbasside al-Mu‘tadhid bi-Llâh (892-902), rendant hommage à «cet homme [qui] veillait aux affaires des musulmans». Sous le règne des Fatimides en Egypte (Xe-XIIe siècle), où se sont notamment illustrés deux ministres dhimmîs, – l’un chrétien, Bahram al-Armanî, l’autre juif, Abû Sa‘d al-Tustarî – l’administration était copte et l’armée, multiethnique (Arméniens, Turcs et Soudanais). A l’Ouest, au XIe siècle, Abû Ishâq Ibn an-Naghrîla et son fils Abû Hussein se succéderont à la tête du Premier ministère du royaume de Grenade. En 1465, le sultan mérinide Abû Muhammad ‘Abd al-Haqq nomme également un juif, Hârûn Ibn Batash, au poste de Grand vizir. On ne trouve nul exemple équivalent dans les Etats chrétiens multiconfessionnels du Moyen âge, à l’exception notable de la Sicile normande (XIe-XIIe siècle). Mais dans ce royaume où le roi et l’aristocratie, d’origine viking, étaient arabophones à l’image de la majorité de la population, qui était musulmane et juive, les usages arabo-musulmans ont été largement maintenus : l’administration était arabe, de même que l’essentiel de l’armée, ainsi qu’une partie du gouvernement. L’historien musulman Ibn al-Athîr rapporte ainsi que les musulmans «étaient traités avec bonté, et ils étaient protégés, même contre les Francs. A cause de cela, ils avaient un grand amour pour le roi Roger [II de Sicile]».
Tunis

vendredi 22 juin 2012

Ibn Khaldûn, l’homme qui inventa les sciences humaines


Ibn Khaldûn, l’homme qui inventa les sciences humaines


Dans une récente analyse du pouvoir syrien publiée dans Le Monde («L’Etat de barbarie» persiste en Syrie, mais la tyrannie recule devant la révolution), Ziad Majed, professeur des études du Moyen-Orient à l’Université américaine de Paris, a eu recours à un concept développé au XIVe siècle par un savant maghrébin, celui de ‘asabiyya. L’auteur le traduit par «solidarité mécanique», un autre concept dû au sociologue Emile Durkheim (1858-1917). Qu’un concept socio-politique forgé au Moyen âge demeure pertinent au point d’être employé par un spécialiste au XXIe siècle est certes une chose assez extraordinaire. Le génie qui en est l’auteur ne l’est pas moins. Abd ar-Rahmân Ibn Khaldûn, dont on a commémoré le 28 mai dernier le 680e anniversaire, est la dernière étincelle d’une civilisation arabe dont le déclin était au XIVe siècle largement entamé. Il est l’inventeur de la science historique et de la sociologie, mais aussi un précurseur dans nombre d’autres domaines des sciences humaines, sciences qui ne seront constituées en tant que disciplines indépendantes qu’au XXe siècle : l’économie, la démographie, l’anthropologie, la psychologie (qu’il aborde également sur les plans politique, économique et éthique), la psychopédagogie, etc. On y a vu également un précurseur de Darwin, sa classification des espèces animales décrivant l’homme comme l’aboutissement d’un «progrès graduel de la Création». Dans le «continuum des êtres vivants» en effet, «le plan humain est atteint à partir du monde des singes [al-qirada]». C’est du moins «ce qu’une observation attentive permet de découvrir. Dieu seul, qu’Il soit glorifié, dispose du cours des événements et connaît l’explication des choses cachées»… On y a vu également un précurseur de Marx. Ibn Khaldûn, s’est en effet beaucoup intéressé à l’influence qu’exerce sur l’évolution des groupes sociaux leur genre de vie comme leur genre de production. Il écrit ainsi que «les différences que l’on remarque entre les générations (ajyâl), dans leurs manières d’être, ne sont que la traduction des différences qui les séparent dans leurs modes de vie économique».
Une théorie rationnelle de l’Histoire
La similitude est pour le moins frappante avec la célèbre phrase de Marx : «Le mode de production de la vie matérielle détermine, en général, le processus social, politique et intellectuel de la vie». Ces observations et analyses, et d’autres encore qui témoignent tout autant du génie d’Ibn Khaldûn, sont contenues dans l’introduction d’un ouvrage monumental qui ne sera jamais achevé, le Kitâb al-‘ibar ou Discours sur l’Histoire universelle. Cette introduction (muqaddima) sera considérée par la postérité comme un opus à part entière ; elle est généralement connue sous le titre hellénisant de Prolégomènes. Ibn Khaldûn avait conscience d’y faire œuvre absolument nouvelle. Conscient du déclin de la civilisation à laquelle il appartenait, il voulait être à même d’en rendre compte scientifiquement, au moyen d’une méthodologie rigoureuse. Rejetant les travaux de ses devanciers, simples chroniqueurs alignant des faits sans les soumettre à une critique scientifique, mais surtout, sans en expliquer le déroulement, Ibn Khaldûn emprunte donc «cette voie originale» (al-nahw al-gharîb) qui rend l’histoire rétrospectivement intelligible et rationnelle. Ce faisant, il créait une «science nouvelle», (ilm mustanbat an-nash’a) qui fonde la science historique et la sociologie, tout en contenant les prémices de sciences humaines qui ne se constitueront au mieux qu’un demi-millénaire plus tard.
Tunis

vendredi 15 juin 2012

Au temps où les sultans ottomans étaient cinéphiles


Au temps où les sultans ottomans étaient cinéphiles


Depuis le 13 juin, et jusqu’au 5 août prochain, la Cinémathèque française rend hommage au cinéma égyptien. Une cinquantaine de films seront ainsi présentés dans le cadre d’une rétrospective intitulée Ciné-Egyptomania et destinée à rendre compte de la richesse de l’une des cinématographies majeures du monde musulman. Hors du monde arabe, c’est aujourd’hui la Turquie et l’Iran qui se signalent par l’abondance, sinon par la qualité de leur production. Par l’ancienneté de son introduction également : à Téhéran, en 1904, Mirza Ebrâhim Sahhâf-Bâshi, photographe du shah Mozaffar ed-Dîn, ouvre la première salle de cinéma du pays ; dans l’Egypte ottomane, ce sont des membres de la communauté italienne qui en 1897 projettent les premiers films muets. De même dans la capitale de l’Empire, où ce sont également des membres de minorités non musulmanes — des Juifs et des Arméniens stambouliotes, essentiellement — qui en 1896 introduisent le «cinématographe». La perception du cinéma, de même que son développement, dans ce qui n’allait pas tarder à devenir la République turque, sont intimement liés tant au cosmopolitisme d’Istanbul qu’au rapport, souvent complexe, à une modernité d’importation. Lorsqu’il apparaît en 1896, le cinéma trouve naturellement sa place dans les quartiers de Péra et de Sehzadebasi, les deux centres par excellence du divertissement commercial. La nouvelle invention y côtoie à Pera, quartier surtout peuplé de non-musulmans, des spectacles d’origine européenne tels que les cafés-chantant et les variétés. A Sehzadebasi, quartier majoritairement musulman, il rejoint des formes de spectacles plus traditionnelles, telles que le Karagöz (théâtre d’ombres) et le Meddah (conteurs publics). C’est à partir de 1908 que le cinéma devient une forme de spectacle autonome, avec des lieux de représentation, une programmation mais aussi un public spécifiques. Il commence alors à essaimer dans d’autres quartiers de la capitale.
Des soirées cinéma pendant le ramadan
Cette évolution n’était pas du goût de tous. Certains théologiens suspectaient en effet cette invention nouvelle, importée et exploitée par des non musulmans, de porter atteinte aux bonnes mœurs. Le pouvoir impérial ne suivra que très partiellement leur avis ; le pouvoir républicain qui lui succédera louera cet instrument de la modernité. Si les autorités impériales n’ont pas exercé un contrôle structurel (censure), les autorisations accordées aux nombreux exploitants stipulaient que les films ne devaient pas traiter de sujets religieusement mais surtout politiquement sensibles. Le cinéma a même, globalement, été encouragé, tant pour des raisons fiscales (taxe de solidarité en sus des impôts ordinaires dont devaient s’acquitter les exploitants), que pour des raisons de prestige, la nouvelle technologie ayant vocation à manifester le pouvoir du sultan. Abdulhamit II était du reste un amateur fervent de cette technologie nouvelle, et faisait souvent organiser des projections en petit comité. Les exploitants, de leur côté, tout en s’adaptant aux exigences des autorités, s’efforçaient de parer aux critiques des ulémas, et de répondre aux demandes d’un public très divers. Ainsi, dans le quartier de Sehzadebasi, des projections réservées aux femmes étaient-elles organisées à l’intention des musulmanes. De même les veillées ramadanesques faisaient-elles l’objet d’une programmation spéciale trente jours durant. Enfin, ils n’hésitaient pas, dans un élan de solidarité nationale, à organiser des projections à des fins non-lucratives, dans le but, par exemple, de venir en aide à des victimes de désastres naturels ou de conflits ethniques.
Tunis

jeudi 24 mai 2012


Tombouctou : cité islamique des sciences et du commerce




Le 4 mai dernier, des membres du groupe armé Ansar Eddine, islamistes radicaux supposés proches d’Aqmi, ont détruit le mausolée du saint Sidi Mahmoud Ben Amar à Tombouctou. Comme tout le nord du Mali, depuis le coup d’Etat du 22 mars la ville est contrôlée par les putschistes. Ansar Eddine menace de détruire par le feu les autres mausolées de la «Cité des 333 saints», l’un des surnoms de la ville. Outre qu’il s’agit d’un patrimoine à la fois architectural, religieux et culturel, ces tombeaux objets de piété populaire recèlent un grand nombre de manuscrits islamiques remontant à une période comprise entre le XIVe et le XVIIIe siècle. La ville est d’ailleurs inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1988. Ce qui n’est aujourd’hui qu’une ville du Tiers-Monde de 30.000 habitants a en effet accueilli au XVe siècle jusqu’à 25.000 étudiants venus de divers pays d’islam suivre les enseignements dispensés dans l’université islamique (madrasa) de Sankoré. Avec celles des mosquées Sidi Yahya et Djingueré Ber, la ville en comptait trois. Cité commerçante éminemment prospère, Tombouctou était en effet la capitale culturelle de l’islam ouest-africain. Des nombreux savants que la ville aura attirés ou produits, le plus fameux est sans doute Ahmad Bâbâ al-Massûfî at-Tînbuktî (1556-1627), jurisconsulte (faqîh), philosophe et grammairien auteur de plus de 60 ouvrages. Aujourd’hui encore, la ville recèle plus de 100.000 manuscrits datant pour les plus anciens du XIIe siècle. Il s’agit de traités rédigés en arabe (ou plus rarement en peul) et couvrant les domaines du savoir les plus variés : fiqh (jurisprudence islamique), histoire, astronomie, médecine, musique, botanique, etc. Dans sa Description de l’Afrique (1530), le diplomate et explorateur chrétien Hassan al-Wazzân dit «Léon l’Africain» témoigne de l’intérêt de Tombouctou, ville de commerce et de science, pour les «livres manuscrits» : «on [en] vend aussi beaucoup qui viennent de Berbérie [du Maghreb]. On tire plus de bénéfices de cette vente que de tout le reste des marchandises.»
200 kg d’or pour une mosquée !
Ces marchandises sont pourtant nombreuses et de grande valeur, les Tombouctiens couvrant les trois grandes zones du commerce caravanier africain : or, plumes d’autruches, ivoire, esclaves du Soudan occidental (Bilâd as-Sudân) ; sel du Sahara (salines de Teghaza) ; chevaux arabes et vêtements européens du Maghreb. Le Florentin Benedetto Dei qui a visité la ville en 1470 note sans surprise qu’on y vendait des vêtements de serge fabriqués dans le nord de l’Italie. La description de Léon l’Africain un demi-siècle plus tard est plus enthousiaste. Le diplomate est fasciné par le «grand nombre de boutiques» qui ornent la ville, par «le temple de pierre et de chaux construit par un éminent architecte grenadin» ainsi que par «le magnifique palais du roi». L’architecte auquel il est fait référence est Abû Ishâq as-Sâhilî, un Arabe que fit venir de sa lointaine Espagne l’empereur Mûsâ Ier et auquel il offrit 200 kg d’or pour la conception et l’édification de la célèbre mosquée Djingueré Ber. Brillante et prospère des siècles durant, la ville connaîtra pourtant des appartenances diverses. Intégrée tour à tour, et sous la bannière de l’islam, aux différents empires de l’ouest africain (Ghana, Mali, Songhaï), elle deviendra en 1591 sous la dynastie chérifienne des Saadites un pachalik marocain (territoire sous l’autorité du pacha). A partir du XVIIe siècle s’amorce un lent et inexorable déclin qui conduira en 1894 à la prise de la ville par les Français.
Tunis

vendredi 11 mai 2012

Le kémalisme et la quête de la pureté musicale turque


Par Seyfeddine Ben ... | ZAMAN FRANCE ven, 11/05/2012 - 09:36



Le Festival du printemps a été inauguré au Caire le 20 avril dernier par un groupe turc, Turkish Coffee. Le groupe, récemment créé, réunit artistes confirmés et jeunes talents. Après le Caire, il se produira à Beyrouth et Istanbul. Derrière l’appellation occidentalo-centrée Turkish Coffee («Café turc»), — dont l’aspect décalé est ici délibéré —, ils vont donc jouer, toujours plus à l’Orient, taqsim-s, peshrev-s et autres yürük semai-s résolument turcs, résolument orientaux. L’idéologie nationaliste avait voulu bannir définitivement cette musique ottomane, considérée comme à la fois relevant du passé et polluée d’éléments non turcs, — arabes et persans en l’espèce. Jusqu’en 1941, soit durant les dix-huit premières années de la République, l’apprentissage, l’interprétation et la diffusion radiophonique de la musique turque étaient interdits. Seule a eu grâce alors la musique occidentale — considérée comme «moderne» par essence —, le temps que soit créée «une nouvelle musique turque». Une musique dont la vocation était double : affermir le sentiment d’appartenance à la Nation turque sous la bannière de la République, d’une part, et, d’autre part, favoriser la modernisation de la nation. Cette musique ne pouvait qu’être issue de l’Anatolie, région qui, dans l’idéologie nationaliste, a conservé intact l’héritage de la culture turque originelle, celle des steppes de l’Asie centrale. Atatürk avait ici fait siennes les idées de Gökalp sur la musique et commencera très tôt à les traduire politiquement. Ni musicien, ni musicologue, et pas même mélomane, Ziya Gökalp (1875-1924) était avant tout un sociologue (lecteur de Durkheim) et un idéologue positiviste.
L’Anatolie, berceau du renouveau culturel en Turquie
Le nationalisme turc, qui prend forme dans les années 1911-1913, puisera abondamment dans ses œuvres. Pour Gökalp, la nation étant définie par la langue et la culture, c’est en Anatolie, au sein du peuple, qu’il faut retrouver les éléments fondateurs de la véritable turcité, qu’il s’agisse du vocabulaire, des proverbes, des contes et légendes, des récits héroïques, ou, en l’espèce, de la musique populaire. Cette affirmation vient en complément de la négation, de la révocation sans appel de toutes les formes issues de l’influence arabo-persane, et au premier chef la langue, la littérature et la musique ottomanes. Au répertoire classique ottoman (sarki), il s’agira donc de substituer l’ «authentique» musique populaire anatolienne (türkü). Deux problèmes se posent néanmoins, tous deux d’ordre technique pour le pouvoir kémaliste. Le premier est qu’il faut collecter cette musique, ce qui nécessite une méthodologie et un personnel compétent. Preuve si besoin était de l’extrême importance qu’accordaient les autorités kémalistes à la question, il sera fait appel à Bela Bartok, grand compositeur du XXe siècle, mais surtout pionnier de l’ethnomusicologie, qui a transcrit et enregistré des centaines de mélodies et chants populaires à travers l’Europe. L’Etat turc l’invitera à enseigner au Foyer du peuple d’Ankara en 1936 ; il formera ainsi toute une génération de musicologues turcs. Le second problème résidait dans le caractère archaïque du matériau collecté. Or un Etat moderne se devait d’avoir une musique capable de rivaliser avec la musique occidentale. On a alors procédé à la transcription dans le système d’harmonie occidental des mélodies anatoliennes qu’il s’agissait d’«affiner». Le compositeur et musicologue turc Rauf Yekta (1871-1935) décrira le produit de ces hybridations idéologiques comme étant des «monstres» esthétiques. Musique ottomane, turque, arménienne, kurde ou laze, toutes les musiques de Turquie auront néanmoins survécu au kémalisme.

mardi 8 mai 2012

Ibn'Battuta à la géode du parc de la villette



Jusqu’au 31 mai prochain, la Géode (parc de la Villette, Paris 19e) propose Le grand voyage d’Ibn Battuta, de Bruce Neibaur. Projeté en mode Imax, le film retrace le périple du plus grand voyageur d’islam et de l’un des plus grands explorateurs de tous les temps. En 29 ans de voyages à travers le monde connu, Muhammad Ibn Battûta (1304-1369) aura parcouru 120.000 km, soit trois fois la distance parcourue par son prédécesseur occidental Marco Polo (1254-1324). Comme lui, il confiera à un homme de lettres le soin de coucher par écrit les longs récits qu’il fera de ses pérégrinations. Son Rustichello sera Ibn Juzayy qui, sur l’ordre du souverain mérinide Abû ‘Inân, compilera la Rihla ou «Voyages et périples». Un document rare, qui offre de riches descriptions de la vie économique et politique, mais aussi des mœurs et de la vie matérielle au sein du vaste ensemble afro-eurasiatique d’islam au XIVe siècle… Tout commence en 1325 quand à l’âge de 21 ans, le jeune Ibn Battûta quitte Tanger pour un pèlerinage à Mecque : Tunis, l’Egypte, la Syrie, — qu’il parcourra jusqu’aux confins de l’Arménie — puis enfin le Hijâz. Le pèlerinage accompli, au lieu de s’en retourner dans son Maroc natal, il continue vers l’Est : l’Irak et la Perse, puis à nouveau La Mecque où il restera deux ans pour compléter ses études de théologie. Il descend ensuite vers l’Arabie du Sud et le Yémen, puis s’embarque sur la mer Rouge en direction de la corne de l’Afrique : la Somalie et Zanzibar, terres musulmanes et passablement arabes. Il retourne à La Mecque en 1332 pour sept autres années d’études, avant de repartir : l’Asie mineure, chez les Tatares de la Russie — où le khan Özbeg le charge d’accompagner son épouse grecque rendre visite à son père, l’empereur de Byzance —, dans le Turkestan, le Khorassan, l’Afghanistan, et finalement en Inde où il officiera en qualité de haut fonctionnaire durant huit ans. Le sultan de Delhi Fîrûz Shâh Tughlûq l’enverra ainsi en Chine à la tête d’une fastueuse ambassade. Mais la jonque est détruite par une tempête le long des côtes indiennes. Il s’embarque pour les îles Maldives, où il assumera deux années durant la fonction de juge (qâdhî). Il quittera l’archipel pour faire l’ascension du Pic d’Adam (Jabal ar-Ruhûn) à Ceylan, lieu saint pour les hindous, les bouddhistes et les musulmans. Puis ce sera le Bengale de la dynastie Ilyâs Shâhî, Sumatra, dont le souverain est également musulman, et enfin la Chine : Quanzhou (Zaytûn), où vit une importante communauté arabo-persane, Hong-Tcheou, Canton et Pékin. Il reprend alors la route vers l’Ouest, vers Ormuz : à nouveau la Perse, Bagdad, Damas, le Caire, et un quatrième pèlerinage en 1348. Arrivé au Maroc après 24 ans, il ne tardera pas à repartir : l’Espagne musulmane et le Mali du puissant Mansa Sulaymân. C’est à Takedda, au cœur de l’Afrique noire, qu’un message royal l’invite à regagner la cour d’Abû ‘Inân à Fez, où il dictera sa Rihla. L’empire abbasside a depuis longtemps disparu, les royaumes ilkhanides qui lui ont succédé se lézardent en Irak et en Perse, ce monde musulman qu’a parcouru Ibn Battûta était certes morcelé en royaumes et en principautés, mais les pèlerins, les érudits et les commerçants qu’il a rencontrés dans cette immense Asie musulmane avaient comme lui conscience d’appartenir à une civilisation brillante, à une communauté universelle, fondée sur des valeurs religieuses et culturelles. Plus qu’aucun autre, Ibn Battûta aura pu admirer les dernières lueurs de cette civilisation que l’empire ottoman naissant n’arrachera que très partiellement aux ténèbres qui commencent à l’entourer.
Tunis

jeudi 5 avril 2012

secrets de fabrication du ney


Par Ali Pektas | ven, 30/03/2012 - 14:20
source: www.zamanfrance.fr

Salih Bilgin, un artiste qui a donné de nombreux concerts tant sur des scènes nationales qu’internationales et a également enregistré de nombreux albums, est spécialisé dans la fabrication de bachparé, une partie du ney qui se fixe à l’endroit où le musicien souffle et qui permet de produire un son puissant et cristallin à la fois. Bilgin fabrique des bachparé depuis près de 30 ans maintenant, et chaque pièce qu’il crée est absolument unique tant au niveau de la forme que des matériaux utilisés. Son amour pour cette partie du ney remonte à ses années d’étudiant à l’université technique d’Istanbul où il suivit des cours auprès du maître de ney (neyzen) Niyazi Sayin. Bilgin a expliqué qu’à l’époque où il commençait tout juste à fabriquer ses propres bachparé pour un usage personnel, il s’est rendu compte d’une chose : «Je faisais partie de ces musiciens qui considéraient qu’un neyzen pouvait avoir plusieurs ney mais ne devait toujours avoir qu’un seul et unique bachparé». «A cette époque, il n’existait que deux personne qui fabriquaient des bachparé dans toute la Turquie. Et mon professeur était un des grands maîtres en la matière » explique Salih Bilgin. « J’étais un étudiant très curieux, et plus jeune, j’ai toujours été intéressé par le bois, les marteaux et les clous. Quand j’ai vu mon professeur fabriquer des bachparé, j’ai voulu faire pareil. J’ai tout d’abord conçu mon propre tour, que j’ai ensuite monté sur un plan de travail, et j’ai commencé à fabriquer des bachparé» ajoute-t-il. Pendant toutes ces années, Salih Bilgin s’est mis à chercher des cornes de bœuf considérées comme étant le matériau idéal pour la fabrication de bachparé. Il lui était très difficile d’en trouver en quantités suffisantes, et il se souvient d’une anecdote qui l’a particulièrement marqué. Se remémorant cette anecdote, il raconte : «En deuxième année de conservatoire, j’avais un ami qui s’appelait Ahmet. Un jour son père nous apporta deux énormes cornes, ce qui en ces temps là relevait quasiment de l’exploit». Une pénurie générale de cornes de bœufs obligea Bilgin à user de créativité pour les matériaux : il utilise du bois prélevé des racines d’olivier et du bois de noyer, entre autres. Internet l’a également beaucoup aidé, lui permettant de commander des cornes d’animaux très particuliers et du bois dur provenant d’autres pays et de se les faire livrer en Turquie.

Pas de bachparé standard

Fait intéressant, Bilgin a fabriqué le premier bachparé au monde fait à partir de carapace de tortue, un matériau notamment utilisé pour la fabrication de certains chapelets. Il affirme qu’en termes de traditions, le meilleur matériau pour la fabrication du bachparé était la corne de bœuf mais puisque c’était si difficile à dénicher, d’autres matériaux étaient venus progressivement le remplacer, en particulier le bois dur. Il a également affirmé que ces dernières années, un type de plastique très bon marché était apparu, pouvant servir à fabriquer des bachparé. Il regrettait toutefois qu’une forme standard ait été appliquée à ces pièces : «Il est impossible d’avoir un bachparé standard» dit-il. «Peu importe le nombre de ney fabriqués dans le monde, ils sont tous différents les uns des autres. C’est comme les êtres humains. Ils ne seront jamais exactement pareils. Lorsqu’on joue du ney on crée un art. Et l’art est synonyme d’esthétique» poursuit-il.