Le 31 mai, alors que la place Taksim et les rues alentours suffoquaient sous l’effet des gaz lacrymogènes et que des milliers de personnes scandaient “Tayyip démission !”, la quasi totalité des chaînes de télévision turques continuaient de diffuser leurs programmes habituels, documentaires animaliers compris. Ce quasi black-out médiatique, timidement corrigé par certaines chaînes depuis, a provoqué la colère d’une partie de la foule qui s’en est prise aux rares véhicules de télévision apparus sur la place. Lepetitjournal.com d’Istanbul a interrogé quelques journalistes présents à Taksim hier.
Ertuğrul, documentariste pour la chaîne Birgün
“Je suis ici depuis le 31 mai et ce que je constate, c’est qu’il n’y avait aucune des grandes chaînes de télévision nationale. En vérité, je ne suis pas surpris. Il y a tellement de pressions sur les médias de la part du parti AKP… De la censure bien sûr mais aussi une pression économique très forte. Beaucoup de journalistes ont été emprisonnés... Le directeur de la chaîne NTV s’est excusé mardi du manque de couverture médiatique, mais je pense que c’est un mensonge. Vous les voyez quelque part ?”
Aslı, journaliste pour le quotidien Hürriyet
“Cela fait neuf jours que je traite les événements du Gezi Parkı. Je pense que la couverture médiatique par les grands médias nationaux est dramatique. CNN Türk et NTV ne sont pas présents. Et c’est devenu un grave problème. Maintenant, les jeunes haïssent ces grandes chaînes télévisées. C’est un temps difficile pour nous, journalistes turcs, car si les jeunes n’ont plus confiance en leurs médias, le changement ne pourra pas se faire entièrement. ”
Erkan, photographe freelance
“Il est clair que 90% des médias turcs sont contrôlés par le gouvernement. L’AKP ne veut pas entendre parler de l’opposition car elle risquerait de fâcher les grandes entreprises et donc de réduire le financement de certains budgets, des chaînes télévisées par exemple. Mais aujourd’hui, toutes les chaines et journaux sont présents, les principaux, les plus marginaux comme les freelance. ”
Ibrahim, journaliste freelance sur Youtube
“La couverture médiatique des événements est abominable ! Le gouvernement a beaucoup trop de pouvoir sur les médias. Ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire. Heureusement, il y a les réseaux sociaux. Sans ça je ne pourrais pas faire mon travail. ”
Taygun, cameraman pour POW films
“Ce que je pense de la couverture médiatique turque ? C’est évident ! Regardez autour de vous ! Les médias turcs ont commencé a parler des événements mais c’est tout récent et ils sont loin de tout montrer. C est dramatique ! ”
Deniz, photographe freelance
“Enfin les grandes chaînes commencent à parler de ce qui se passe ici ! Ils ne disent pas tout évidemment mais ils sont la parce que les manifestants sont tellement nombreux qu’ils ne pouvaient pas rester silencieux indéfiniment. Au final, tout est une affaire de pression. ”
Journaliste de Kanal A qui a souhaité rester anonyme
“La Turquie est un pays démocratique. Les médias font leur boulot. ”
Makbule, reporter pour Halk Tv
“Halk Tv est la seule chaîne en qui les gens ont confiance maintenant. Et je suis la seule journaliste sur le terrain d’Halk Tv à Istanbul, vous imaginez la pression ? Quand je vais les interviewer, ils me demandent une preuve comme quoi je suis bien journaliste à Halk Tv. Oui, notre chaîne est contre le gouvernement et financée en partie par le CHP (Parti Républicain du peuple, ndlr) et en cela elle n’est peut être pas totalement neutre. Mais je pense sincèrement être la seule reporter à Istanbul qui jouit d’une aussi grande liberté dans son travail. Je ne blâme pas les autres chaînes télévisées, elles subissent une pression impitoyable de la part d’Erdoğan. ”
Propos recueillis par Diane Jean (http://lepetitjournal.com/istanbul.html) jeudi 6 juin 2013
Rush sur les réseaux sociaux
Cette autocensure médiatique, régulièrement pointée du doigt avant même le début de la contestation, n’a pas échappé aux autorités européennes. Sur son compte Twitter lundi, le commissaire à l’Elargissement Stefan Füle appelait la Turquie à “restaurer la liberté des médias”. La presse écrite et télévisée du pays est connue pour appartenir à de grands groupes, qui eux-mêmes disposent de peu d’indépendance à l’égard du pouvoir politique.
Avides d’informations, les Turcs se sont repliés sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter. Le premier jour des violences, le blog spécialisé Web3lab faisait état de 5000 tweets et retweets par heure dans un rayon d’un kilomètre autour de la place Taksim. Les mots clés comprenant “gezi”, du nom du parc à l’origine de la mobilisation, ont suscité en quelques heures des centaines de milliers de messages sur ce réseau social.
Ils ont aussi contribué à la propagation de dizaines de rumeurs et de photomontages: des hélicoptères de la police auraient aspergé les manifestants de gaz lacrymogènes, des milliers de policiers auraient rendu leur uniforme en signe de solidarité tandis que d’autres auraient utilisé des balles réelles contre les protestataires. Les réseaux sociaux ont enfin été mis à profit pour organiser la solidarité et diffuser, par exemple, les coordonnées de médecins volontaires ou les adresses où se procurer des masques à
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