vendredi 11 janvier 2013

PAR QUI ? POURQUOI ?– Les réactions au meurtre de trois activistes kurdes à Paris


Le meurtre par balle de trois femmes dans les bureaux du Centre d'information kurde de Paris a dominé l’actualité hier, en France et en Turquie. Ce triple assassinat intervient au moment où le PKK et le gouvernement turc discutent d’une éventuelle issue à près de 30 ans d’hostilités. Depuis hier, chacun y va de son interprétation, même si beaucoup refusent d’y voir une simple coïncidence.
L’une des victimes, Sakine Cansız, avait contribué à la fondation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 1978 aux côtés d’Abdullah Öcalan, son leader historique emprisonné depuis 14 ans. Fidan Doğan est présentée dans les médias comme la représentante en France du Congrès national du Kurdistan (KNK) et Leyla Söylemez comme une jeune activiste kurde. Leurs corps ont été retrouvés dans la nuit de mercredi à jeudi au Centre d'information kurde, dans le 10ème arrondissement de Paris.
“Les brigades de l'anti-terrorisme et de l'anti-criminalité sont mobilisées pour faire toute la lumière sur cet acte tout à fait insupportable”, a assuré Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, lors d’une visite au centre hier. Les activistes ont “sans doute été exécutées”, a commenté le ministre alors que la préfecture de police, citée par les agences, se montrait très prudente : “Il s'agit d'un triple homicide, c'est certain, mais il est beaucoup trop tôt pour dire s'il s'agit d'un éventuel règlement de comptes lié à la mouvance kurde ou bien s'il s'agit de tout autre chose." Le président François Hollande a qualifié d"horrible" l'assassinat des trois femmes, précisant avoir connu l'une d'elles.
Tentative de “sabotage”
Par qui et surtout pourquoi Sakine Cansız, Fidan Doğan et Leyla Söylemez ont-elles été assassinées ? Alors que l’enquête en France ne fait que commencer, responsables turcs mais aussi représentants politiques et associatifs kurdes pointent du doigt le même contexte, sans en tirer toutefois les mêmes conclusions. Beaucoup évoquent une tentative de “sabotage” du dialogue amorcé entre le gouvernement turc et le chef du PKK pour un règlement pacifique de la question kurde. Malgré les pourparlers en cours, lundi soir encore, quatorze combattants du PKK et un soldat turc avaient trouvé la mort dans des combats dans la province de Hakkari.
“Cela peut être un règlement de comptes interne”, s’est avancé Recep Tayyip Erdoğan, réagissant au meurtre des trois militantes kurdes. Le Premier ministre a aussi évoqué “une provocation de grande envergure” de la part de “ceux qui ne souhaitent pas” voir émerger une solution au conflit. Plus tôt dans la journée, le vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP), Hüseyin Çelik, avait estimé qu’au vu du “mode opératoire, cela ressemble davantage à un règlement de comptes au sein du PKK.”
Des conclusions rejetées par le co-président du BDP (Parti de la paix et de la démocratie, pro-kurde), Selahattin Demirtaş. “Comment savoir si ceux qui font ces déclarations n’ont pas eux-mêmes planifié ce massacre”, écrit-il sur son compte twitter, accusant l’AKP de vouloir “clore le sujet” en attribuant ces trois morts à la dissidence – bien réelle – au sein du PKK. Selahattin Demirtaş et Gültan Kışanak, l'autre présidente du parti, ont annoncé se rendre en France pour assister aux obsèques.
“Un dangereux précédent”
Les pistes sont donc plurielles et la multiplication des déclarations, côté turc, contribue à la confusion. Parmi les quelque 200 personnes rassemblées hier devant le Centre d'information kurde à Paris, des manifestants accusaient le gouvernement turc, ses services secrets ou ceux d’autres pays. Pour eux, aucun doute, il s'agit d'un “assassinat politique”.
“Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un acte commis par l’Etat profond”, estimait pourtant le journaliste Taha Akyol sur la chaîne de télévision CNN Türk, citant plutôt une exécution en interne ou encore, sans trop sembler y croire, “un acte planifié depuis des mois”, sans rapport avec le processus de négociations en cours.
“Il est clair qu’il s’agit d’un complot visant directement Öcalan, quel qu’en soit l’auteur”, interprétait quant à lui le journaliste Avni Özgürel, du quotidien Radikal. Kadri Gürsel dans Milliyet pense lui aussi que quel que soit l’auteur ou les auteurs, “le but de ces meurtres est de remettre en cause les négociations dans l’opinion publique kurde et les rangs du mouvement kurde, de créer une insécurité, de compliquer le processus et au final de porter un coup aux espoirs de paix.”
Dans un communiqué, l’Institut kurde de Paris appelle les autorités françaises à faire la lumière sur ce triple meurtre “qui crée un dangereux précédent et qui inquiète fortement la communauté kurde de France”. Des associations kurdes ont lancé un appel à manifester samedi à midi, place de la Bastille à Paris.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 11 janvier 2013

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