mardi 6 novembre 2012

TURQUIE: le débat est relancé sur la peine de mort


Recep Tayyip Erdoğan a semblé regretter samedi l’abolition de la peine capitale, adoptée à l’époque où la Turquie cherchait à convaincre l’UE d’entamer avec elle des négociations d’adhésion. Le Premier ministre turc faisait spécifiquement référence au sort du chef du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné depuis 1999
Samedi 3 novembre, le Parti de la justice et du développement (AKP) fêtait ses dix années à la tête du pays. Entre un éloge des réussites économiques de son gouvernement et une tirade sur la “révolution des mentalités” opérée sous ses trois mandats, Recep Tayyip Erdoğan a surpris en évoquant la peine de mort, pourtant peu ou pas débattue depuis son abolition en 2002.
Le Premier ministre turc venait de s’en prendre aux centaines de prisonniers kurdes en grève de la faim depuis plusieurs semaines, certains depuis mi-septembre. Accusés d’appartenance ou de soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit), ils refusent de s’alimenter pour obtenir, entre autres, une amélioration des conditions de détention d’Abdullah Öcalan. Le chef historique du PKK, capturé en 1999, est maintenu à l’isolement sur l’île d’Imralı en mer de Marmara.
“Nous ne libérerons pas le chef terroriste simplement parce que vous le demandez et que vous vous engagez dans une telle action”, a-t-il lancé aux prisonniers, qualifiant leur mouvement de “chantage”. Abdullah Öcalan, initialement condamné à mort, purge une peine à perpétuité depuis que l’exécution a disparu des pages du Code pénal turc.
Une avancée que semble aujourd’hui déplorer le chef du gouvernement. “Ce pays a aboli la peine de mort sous la pression de cercles bien connus”, a-t-il affirmé samedi, avant de citer des “enquêtes d’opinion qui montrent qu’une majorité de nos citoyens veut actuellement le retour de la peine de mort.”
Potence dans une prison du Texas (photo Patrick Feller, Flickr/CC)
L’abolition et l’Europe
En août 2002, les députés turcs abolissent la peine capitale en temps de paix. A l’époque, le pays est gouverné par une coalition tripartite dominée par le Parti démocratique de la gauche (DSP). Erdoğan n’est pas encore élu mais dirige déjà l’AKP, jeune formation d’un an tout juste. Seul le Parti d’action nationaliste (MHP), membre de la coalition gouvernante, fait bloc au Parlement contre l’abolition.
Moins de deux ans plus tard, alors que l’AKP est seul au gouvernement et majoritaire au Parlement, une nouvelle réforme supprime l’ensemble des dispositions de la Constitution relatives à la peine capitale et l’abolit en toutes circonstances. Cette réforme a joué un rôle essentiel dans l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union européenne l’année suivante.
“Qui sont ces ‘cercles bien connus’ qui faisaient pression pour l’abolition?” fait aujourd’hui mine de s’interroger Özgür Mumcu. L’éditorialiste du quotidien Radikal rappelle que Recep Tayyip Erdoğan avait soutenu en 2002 la suppression de la peine capitale. “Monsieur Erdoğan était-il à l’époque sous la pression de ‘cercles bien connus’ ?” demande-t-il encore.
“Un jouet dans les mains d’Erdoğan”
Selon Özgür Mumcu, “la peine de mort est un jouet dans les mains d’Erdoğan. Il était contre à la naissance de son parti, quand il était question d’avoir l’air pro-européen ; il était contre au moment du référendum du 12 septembre (2010) quand il s’agissait d’avoir l’air démocrate ; mais il est pour quand il est mis en difficulté sur la question kurde et dépendant des votes nationalistes”, écrit-il.
Nuray Mert, dans le quotidien anglophone Hürriyet Daily News, élargit sa critique à la société turque. Elle rappelle que la peine capitale n’a pas fait l’objet d’un débat à l’époque de son abolition et que l’opinion d’une majorité de ses compatriotes n’a pas évolué depuis. “Il nous faut admettre que la majorité du pays ne se préoccupe pas de la valeur de la vie humaine, sans parler des libertés”, assène-t-elle. “Le défi de la Turquie est qu’Erdoğan et l’AKP sont au parfait diapason de la majorité qui les soutient. Autrement, les gens ne pourraient pas être emprisonnés pour des motifs arbitraires, les Kurdes ne seraient pas diabolisés et la grève de la faim de centaines de prisonniers ne serait pas dénigrée comme un show politique”, estime encore Nuray Mert.
Quant à l’actuel Parlement, un député du MHP, proche conseiller du dirigeant d'opposition Devlet Bahçeli, a fait savoir que son parti soutiendrait une éventuelle réintroduction de la peine de mort, “en particulier pour le chef terroriste Öcalan.”
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) mardi 6 novembre 2012

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