jeudi 8 novembre 2012

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Crédit photo GDK
Qui était donc Michel Pacha ?
Marius Michel, un marin français à la carrière fulgurante.
Capitaine au long cours sur les paquebots-poste reliant Marseille au Proche-Orient, il fut, dès l’âge de trente-cinq ans, nommé Commandant, pour sa conduite héroïque lors du sauvetage des passagers d’un navire naufragé. En effet, à cette époque, la mer, dénuée de balisage, était dangereuse. Et Marius Michel n’avait qu’une idée en tête : comment rendre plus sûres les routes maritimes ? Ne fallait-il pas les parsemer de phares ? Mais quel pays disposait d’assez d’argent pour mener à bien une œuvre aussi gigantesque ?
Ce fut un nouveau naufrage, lors de la guerre de Crimée, qui permit à son projet de prendre corps. Marius Michel porta secours au navire français Henri IV, échoué sur une côte déserte. En l’absence de phares, seul son dévouement exemplaire permit de réussir la mission. Alors, il parvint à faire soumettre à Napoléon III un projet de construction de phares. Et l’impossible se réalisa : Napoléon III convainquit le sultan Abdülmecid de l’aider à réaliser cette entreprise.
Directeur des phares et balises de l’Empire ottoman
Quant à Marius Michel, alors âgé de trente-six, il eut l’honneur, en 1855, d’être nommé "Directeur des phares et balises de l’Empire ottoman" et il s’établit à Istanbul.
Sa mission : construire des phares. En association avec un armateur bordelais du nom de Camille Collas, Michel emprunta de gigantesques sommes d’argent, qu’il remboursa en prélevant une taxe aux navires pénétrant dans les ports. Ce fut ainsi que les rives de la Mer Noire, de la Marmara, de la Méditerranée et de l’Egée se parèrent de cent onze phares blancs. Et aussi que Marius put édifier sa prodigieuse fortune !
Michel devient Pacha
Le sultan Abdülhamid II lui confia alors un nouveau projet cyclopéen : construire à Istanbul un port moderne, avec d’immenses quais. Marius fonda la Société des quais, des docks et entrepôts de Constantinople et mena à bien tous les travaux du port. En 1879, le sultan le gratifia du grade suprême, celui de Pacha de l’Empire Ottoman. Marius Michel devint Michel Pacha, décoré du grand cordon de l’Ordre de la Mecidiye puis de l’Ordre de l’Osmaniye. Un Français Pacha chez les Turcs, cela fit couler de l’encre, à Paris comme à Istanbul ; les journalistes ne tarissaient pas d’éloges sur le destin du mousse devenu Pacha.
Recréer le Bosphore à Tamaris
Sa mission terminée, Michel Pacha regagna définitivement la France. Mais la fortune colossale qu’il avait édifiée à Istanbul lui permit, dans sa vieillesse, de concrétiser son rêve : reconstituer un "Petit Bosphore" dans la baie de Tamaris, près de Toulon.
La réalisation de sa folie, sur les quatre cents hectares qu’il avait achetés, dura une vingtaine d’années et demanda un travail de titan. Il fit creuser les terres pour combler les marécages, construire une digue et aménager une corniche où serpentait la route côtière.
Sur la colline, il se fit édifier le grandiose château du Manteau, avec une tour à l’ottomane. Autour, s’étendait un gigantesque parc planté d’arbres exotiques, avec des serres chauffées où s’épanouissaient bananiers, orangers et ananas et un moulin à vent activant les sept puits et citernes souterraines destinés à l’arrosage du domaine. Et pour effectuer ses promenades nocturnes en mer, Michel Pacha utilisait un caïque gainé de velours et de soie ramené d’Istanbul.
Au bas de son domaine, il fit construire un casino en forme de mosquée et soixante-dix villas en style oriental. Par exemple, la villa "Les Mimosas", évoque un kiosque d’Arnavutköy, "L’Orientale", avec sa tour en forme de phare, ressemble à un manoir de Büyükada, "Le Chalet", fait penser à la demeure de Tevfik Fikret à Rumeli Hisarı. Michel Pacha fit aussi édifier un "Institut de biologie marine", à l’architecture inspirée de celle du palais de Çiragan. Il installa même des "vapeurs" pour effectuer l’aller-retour entre Tamaris à Toulon.
Une villégiature à la mode
A peine les travaux avaient-ils pris fin que les riches estivants européens commencèrent à déferler vers cette nouvelle station balnéaire. Ce qu’ils venaient chercher à Tamaris, c’était un air de l’ailleurs, un dépaysement absolu que leur procuraient ce décor inspiré du Bosphore.
Les artistes s’y pressaient pour y trouver l’inspiration, Camille Saint-Saëns vint y composer de la musique, Gabrielle d’Annunzio, ses romans, Auguste Renoir, ses tableaux. Les frères Lumière eux-mêmes installèrent leur laboratoire dans la villa "L’Orientale".
Les tragiques revers de l’Histoire
Ce que Michel Pacha ne pouvait soupçonner, c’est que son paradis oriental de Tamaris disparaîtrait dans les vicissitudes de l’histoire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Nazis occupèrent le Château dont ils pillèrent les richesses. Les arbres furent coupés, le Casino rasé. Puis, la plupart des édifices et des villas disparurent lors du bombardement de 1944. Le Château fut si endommagé qu’il fut plus tard complètement rasé. Il n’en subsiste aujourd’hui que le portail d’entrée, surmonté de ses deux lions de pierre.
Que reste-t-il aujourd’hui de Michel Pacha ?
Après avoir échangé quelques paroles avec des habitants du lieu, je me suis rendue compte avec stupéfaction que peu de personnes, à Tamaris, connaissent l’histoire de Michel Pacha. Il n’en demeure pas moins qu’en dépit de la disparition de la plupart des édifices, le village de Tamaris a su conserver une beauté surannée, hors des modes et du temps et constitue un lieu magique pour les rêveurs du passé.
En ce qui me concerne, si j’ai consacré plusieurs articles de mon blog et un des quatre chapitres de mon livre Secrets d’Istanbul (2010) au personnage de Michel Pacha, c’est que je le considère comme un extraordinaire héros de roman. Mais je regrette que plus rien, ni musée, ni plaque de rue, ne commémore le nom de cet insolite pacha qui voulut réaliser en France un Bosphore en miniature…
Gisèle Durero-Köseoğlu (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) jeudi 8 novembre 2012
A noter : Gisèle dédicacera ses livres au Salon du livre d’Istanbul le samedi 17 et le mercredi 21 novembre de 13h à 17h, Tüyap Kitap Fuarı, stand des Editions GiTa, Salon 2, 602C.

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