mardi 9 octobre 2012

PAROLES INHABITUELLES - “D’abord l’humain, ensuite la patrie”


Habituelles pour les défenseurs des droits de l’Homme en Turquie, rares dans la bouche d’un représentant de l’Etat. Ces paroles, présentées par les médias comme “extraordinaires” voire “historiques”, ont été prononcées dimanche par le nouveau directeur de la sûreté de Diyarbakır, ville et province du sud-est à majorité kurde. Elles pourraient attirer des ennuis à l'intéressé
Recep Güven est un homme qui connaît bien la région et son histoire récente. Sa douloureuse histoire récente. Au début des années 90, quand l’armée évacuait des villages dans l’espoir de couper les vivres au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), quand des centaines de gardés à vue disparaissaient mystérieusement, quand l’état d’exception était la règle, Recep Güven était déjà en poste à Diyarbakır, au service du renseignement.
Couverture du dernier rapport de HRW sur les crimes non résolus dans les années 90.
Dimanche dernier, fraichement muté de la province de Siirt à celle Diyarbakır, le nouveau directeur de la sûreté a réuni des journalistes pour tenir, devant leurs caméras, un discours peu commun à ce niveau de fonction.
Constatant que des mineurs continuaient de rejoindre les rangs du PKK, Recep Güven a estimé que “si un enfant choisit la montagne, nous sommes tous responsables. Comment ne pas faire notre autocritique ? Cet enfant n’a pas trouvé de vie sociale à laquelle se raccrocher à cause du fonctionnaire de commissariat qui se comporte mal, à cause de l’usage disproportionné de la force lors d’un contrôle”, a-t-il annoncé.
“L’Etat est là pour servir”
“Nous tuons les gens. Nous tuons leurs êtres chers. Nous faisons germer la haine dans leurs cœurs (…) L’Etat est là pour servir. C’est l’humain d’abord, et non la patrie d’abord”, a-t-il encore déclaré dans sa longue intervention ponctuée de souvenirs des années 90. Le policier a expliqué qu’il savait, à l’époque, que chaque village évacué était une menace pour l’avenir. “Peut-être était-ce la nécessité. Peut-être aussi, des décisions dans l’urgence. (…) Mais c’est la base des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui”, s’est-il encore justifié.
Recep Güven a confié avoir, à un moment donné, proposé de se rendre auprès des mères dont les enfants avaient rejoint le PKK. “Ils vont te tuer”, lui a-t-on répondu en guise de refus. “Si seulement nous n’étions pas arrivés si tard, après tant de souffrances”, a-t-il regretté, avant d’affirmer qu’il comptait prendre des cours de kurde pour donner l’exemple.
Ces propos ont en général été salués par les responsables de parti et d’ONG pro-kurdes. Selahattin Demirtaş, co-président du Parti pour la paix et la démocratie (BDP) a toutefois souligné que les pratiques, davantage que les déclarations, importaient à ses yeux. “Le jour où le directeur de la sûreté de Diyarbakır en réfèrera directement au maire de Diyarbakır, Osman Baydemir, ce jour-là nous serons enthousiastes”, a-t-il réagi.
La guerre entre l’armée turque et les militants du PKK dure depuis bientôt 30 ans, sans solution politique à l'horizon. Les propos du chef de police interviennent après un été particulièrement meurtrier dans cette région aux confins de l’Irak et de la Syrie. Dimanche, Recep Güven a rappelé d'autres paroles fortes qu'il avait tenues en 2005: “Si vous ne pleurez pas pour les terroristes qui meurent dans les montagnes, vous n'êtes pas humain.” Ces mots ont provoqué la colère de l'Association des familles de martyrs et de vétérans, qui a annoncé hier son intention de porter plainte.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 9 octobre 2012

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire