lundi 8 octobre 2012

PROBLÈMES DE CRÈCHE - “Raison n°1 pour 44% des Turques qui quittent leur emploi"


La croissance économique des dernières années n’y change rien : officiellement, moins d’un quart des femmes turques travaillent. Traditions et éducation ne sont pas les seules raisons. Le manque de crèches et d’écoles maternelles est criant et les premières à en souffrir sont les femmes de milieux défavorisés, qui n’ont pas les moyens de payer des structures privées. Le gouvernement prépare un projet de loi, en coopération étroite avec des ONG. L’une d’elles, Açev (Fondation pour l’éducation mère-enfant), agit depuis 20 ans dans ce domaine. Rencontre avec sa vice-présidente, Ayla Göksel
Lepetitjournal.com d’Istanbul : D’après des chiffres officiels de 2010, 15% des enfants turcs de moins de six ans sont accueillis en crèche ou en école maternelle. Le taux d’activité des femmes, lui, est de 24%. Dans quelle mesure ceci explique-t-il cela ?
Ayla Göksel (photo montage YouTube): L’une des premières raisons – pour ne pas dire la première raison – du faible taux d’activité des femmes est le manque de structures pour accueillir les enfants avant l’école primaire (qui commence en Turquie à 5 ans et demi, ndlr). Si une femme ne trouve pas d’endroit où confier son enfant, diplômée ou pas, elle n’ira pas travailler. La Turquie est très en retard par rapport aux autres pays européens ou de l’OCDE, dans lesquels le taux moyen d’activité des femmes atteint 60%.
La ministre des Politiques familiales et sociales prépare un projet de loi qui offrirait jusqu’à 300 livres turques par mois – environ 130 euros – aux femmes qui laissent leurs enfants en crèche pour pouvoir travailler. Qu’en pensez-vous ?
Ces deux dernières années, nous avons élaboré avec Kagider (Association des femmes chefs d’entreprise) un modèle de politique, que nous avons proposé au gouvernement. Nos études montrent que si l’État donne aux femmes une aide de 300 TL* pour qu’elles fassent garder leurs enfants non scolarisés, 683 TL reviendront dans ses caisses. Une femme qui travaille, c’est une femme qui paye des impôts et des charges sociales. En plus, cette aide serait une réelle incitation pour les femmes qui travaillent au noir – et elles sont nombreuses – à entrer dans la légalité. La ministre s’est engagée à porter ce projet au Parlement. Nous souhaiterions que l’application commence dès 2013, au moins sous forme de projet pilote.
Si la loi passe en l’état, quel effet attendez-vous sur le taux d’activité des femmes turques ?
Toujours suivant ce modèle, nous avons calculé que le taux d’activité pourrait augmenter de cinq points de pourcentage en dix ans. 30%, cela peut paraître peu mais pour la Turquie, si l’on regarde les statistiques des dernières décennies, c’est beaucoup. Bien sûr, nous ne nous attendons pas à ce que toutes les femmes se mettent à travailler grâce aux aides de l’État. D’ailleurs, nous disons toujours que cela doit être une question de choix : la femme qui veut travailler doit pouvoir travailler. Si elle veut rester à la maison avec son enfant, elle doit aussi pouvoir le faire. Toutefois, nos enquêtes nous donnent bon espoir : 44% des femmes qui ont quitté leur emploi à la naissance d’un enfant citent les problèmes de crèche comme leur première raison. Encore plus édifiant, 85% assurent qu’elles reprendraient le travail si le gouvernement les aidait à faire garder leur enfant.
Comment expliquez-vous que la réaction politique ait mis tant de temps à s’enclencher, alors que la Turquie travaille depuis des années à harmoniser ses lois à celles de l’Union européenne ?
Les politiques à l’égard des femmes sont relativement nouvelles dans notre pays. Nous avons longtemps manqué d’ONG, de bureaucrates et de politiciens qui défendent les droits des femmes. Mais ces dernières années, la pression augmente et les femmes occupent davantage de place dans le débat public. La pression augmente aussi parce que le niveau d’éducation des femmes augmente ainsi que l’urbanisation, entrainant avec elle l’éloignement géographique des familles. Les femmes peuvent de moins en moins se reposer sur une mère ou une grand-mère à qui confier leurs enfants. Elles attendent de l’État des structures adaptées.
La ministre parle aussi de développer les crèches de quartier. Est-ce une bonne idée ?
En fait, il y a deux modèles de crèche de quartier. Dans le premier, des femmes se réunissent et fondent une coopérative qui propose des services de halte-garderie. Ce modèle existe déjà en Turquie mais de manière assez informelle car la loi ne les reconnaît pas précisément. Il faudrait donc résoudre ce vide juridique. Le deuxième modèle est très répandu dans certains pays, au Mexique ou en Angleterre par exemple. Il consiste, pour des femmes d’un même quartier, à accueillir chez elles des enfants d’autres femmes du quartier. Cela n’existe pas encore en Turquie ou bien de manière complètement informelle. Bien sûr, cela pourrait être une solution parmi d’autres, mais il faudrait alors un système de contrôle sérieux. Garder des enfants est une lourde responsabilité, qui ne se limite pas à veiller sur eux. Toutes les études montrent que la période entre 0 et 6 ans est celle pendant laquelle l’enfant se développe le plus, d’un point de vue moteur, intellectuel et cognitif. C’est donc pendant ces années qu’il a le plus besoin d’être accompagné, sollicité, stimulé. Quel que soit le modèle de crèche, la qualité de l’éducation fournie aux enfants doit être le premier critère.
Propos recueillis par Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) lundi 8 octobre 2012

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