mercredi 31 octobre 2012

ISTANBUL: projet de 3eme pont sur le Bosphore


Poyrazköy, en turc, signifie “village du Poyraz”, du nom de ce vent froid de nord-est, violent, synonyme de neige en hiver. C’est une bourgade en pente, entre forêt et mer, où vivent tout au plus un millier d’habitants. Un endroit à l’écart sur la rive asiatique, pas isolé pour autant, où les bateaux de touristes viennent accoster régulièrement.
Depuis le petit port, on distingue très bien la colline plantée d’arbres d’où s’allongera bientôt le troisième pont sur le Bosphore (photo de gauche, OC). Il rejoindra, sur l’autre rive, le village de Garipçe. Les habitants de Poyrazköy ne sont pas vent debout contre cet édifice. Ils sont résignés, ils attendent. Certains avec inquiétude et d’autres avec espoir.
L’espoir que la construction du pont encourage les autorités à lever le statut de site protégé pour une partie des terrains autour de leur village. “Trois fois, j’ai construit une maison. Trois fois, l’Etat l’a détruite !” peste Mustafa Kalafat, un pêcheur de 53 ans. Ses ancêtres sont arrivés de Rize au début du XXème siècle. C’est le cas de la plupart des habitants de Poyrazköy.
“On nous dit qu’il est interdit de bâtir face au Bosphore parce que ça gâche la vue. Et ce pont immense, il ne gâchera pas le paysage, peut-être ?” interroge Mustafa. “On dirait qu’il suffit d’avoir de l’argent pour changer les règles. Donc, d’accord pour le pont, mais qu’au moins les villageois en profitent et qu’on nous laisse construire, nous aussi.”
“Il faut bien couper quelques arbres…”
Turgut, 18 ans, l’un des rares jeunes du village, ne sait pas s’il restera longtemps à Poyrazköy. “Comme on ne peut pas construire, les jeunes se marient et s’en vont. Ils n’ont pas le choix, sans maison !” explique-t-il. Neuf habitants sur dix tirent leurs revenus de la mer. Turgut craint que le troisième pont ne porte préjudice à son activité.
Il est probable qu’une fois le pont construit, on nous interdise d’aller jeter nos filets en dessous”, s’inquiète-t-il. “Or, il y a justement là-bas une petite crique où nous allons toujours car les poissons y sont nombreux. On y pêche beaucoup de lüfer et de thon, par exemple. C’est sûr que si on ne peut plus y jeter nos filets, on aura des pertes.”
Sur la place du village, un groupe de touristes étrangers écoute les instructions du guide. Osman Bakırcı, l’épicier, compte sur le futur pont pour en amener beaucoup d’autres : “J’espère qu’il y aura plus de passage. On ne peut pas dire qu’il y ait une opposition au projet dans le village.”
L’épicier raconte, amusé, les visites fréquentes “d’activistes écolos”. “Ils nous ont dit : “Réagissez, ils vont détruire votre forêt !” Mais si vous voulez mon avis, il y aura toujours assez d’arbres. Il faut bien en couper quelques-uns pour construire un pont…” assène-t-il derrière son comptoir.
Le bruit, la pollution
Ismail et Murat, anciens marins, coulent une retraite paisible à Poyrazköy, entre promenades sur le front de mer et parties de backgammon sur la place. Ils s’inquiètent de la pollution, d’autant que le nouveau pont – destiné à désengorger le trafic stambouliote – devrait être réservé aux poids lourds.
“Ils passeront juste à côté donc on risque d’être dérangés par les gaz d’échappement”, redoute Murat. “En plus, le poyraz qui souffle par ici ne va rien arranger”, renchérit son partenaire de jeu.
Sans même parler du bruit, qui viendra sans doute troubler ce silence paisible. Qu’ils l’espèrent ou qu’ils le redoutent, les habitants de Poyrazköy savent que la vie au village ne sera plus jamais la même après la construction du pont. Le consortium turco-italien qui a remporté l’appel d’offres en mai annonce un début des travaux d’ici la fin de l’année.
Visite du front de mer. En cette saison, les pêcheurs s’affairent à réparer bateaux et filets :

Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) mercredi 31 octobre 2012

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