mardi 30 octobre 2012

VIOLENCES DANS L’ARMÉE TURQUE


“Laissez-moi vous raconter le suicide de mon ami. Il souffrait d’épilepsie. Chaque fois qu’il s’évanouissait, le sergent C.A. de la gendarmerie d’Amasra l’insultait. Il disait : “Tu n’es pas encore mort, qu’on se débarrasse de toi ?” La dernière fois qu’il est tombé, le sergent lui a dit : “Tu ne vas pas mourir, bâtard ?” Il s’est levé un matin et s’est suicidé avec l’arme d’un ami. Étant malade, il n’avait pas d’arme. Ils nous ont envoyés en mission, moi et quelques autres, pour que nous ne parlions pas…”
Ce témoignage, le numéro 421, est parvenu au site askerhaklari.com le 4 janvier dernier. Il figure parmi les 432 plaintes reçues entre avril 2011 et avril 2012, et parmi les extraits présentés dans le rapport révélé ce mois-ci. Ce soldat dénonce des insultes, qui constituent la majorité des violences recensées (48%). Les autres maltraitances citées sont, dans l’ordre : des coups (39%), le fait d’être contraint à des activités physiques excessives (16 %), des soins médicaux insuffisants (15%), des menaces (13%) ou encore des punitions disproportionnées (9%).
Comme dans le cas du soldat malade, il arrive que des proches de victimes brisent le silence. Une mère qui appelle à l’aide pour son fils en train de perdre la raison, une épouse qui raconte ce qu’a subi son mari, envoyé au quartier disciplinaire (“disiplin koğuşu”, désigné entre soldats par le terme “disko”) et autres témoignages remplissent les 100 pages de ce rapport.
Des récits rares
Autre particularité du témoignage n°421 : il établit un lien direct entre le suicide d’un soldat et les mauvais traitements que ce dernier aurait subis. Selon le ministère de la Défense, ces 22 dernières années (jusqu’à mai 2012), 2.221 soldats ont mis fin à leurs jours, soit une centaine de cas par an. Des suicides jugés suspects par les auteurs du site askerhaklari.com, pour ne pas dire provoqués ou parfois maquillés. Au cours de la même période, toujours selon le ministère, 1.602 soldats sont morts dans des “accident divers” ou “en tentant de se rendre inapte au service militaire”.
Les quelque 460.000 appelés du service militaire obligatoire forment le gros des bataillons de l’armée turque, la deuxième de l’Otan en termes d’effectifs. Ce rapport ne peut donc prétendre dresser un état des lieux précis des violences dans les casernes ni fournir des statistiques fiables sur la situation actuelle (d’autant que certains récits ont déjà quelques années, le plus ancien remontant même à 1946).
Cette compilation de plaintes a toutefois le mérite de mettre en lumière un sujet encore tabou dans un pays où service militaire rime souvent avec rite de passage. Un rite obligatoire pour tous les jeunes hommes, la Turquie ne reconnaissant pas l’objection de conscience. Le code pénal punit d'ailleurs de prison ceux qui appellent à la désertion.
Les auteurs du rapport indiquent que la plupart des témoignages recueillis ont été transmis à la Commission des droits de l’Homme du Parlement. Le site askerhaklari.com se prévaut du soutien de nombreuses ONG parmi lesquelles l’Association des droits de l’Homme (IHD). Le rapport a été préparé avec l’aide du fonds européen TACSO.
Anne Andlauer (http://www.lepetitjournal.com/istanbul.html) mardi 30 octobre 2012

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