Par S. Ben Mansour | ZAMAN FRANCE ven, 21/09/2012 - 09:37
Le 30 août dernier, le Grand Orient de France (GODF) a élu un nouveau grand maître en la personne de Joseph Gulino. Un mois plus tôt, l’obédience maçonnique française avait co-signé une lettre dans laquelle elle faisait part de son inquiétude face à la possible extension à l’islam du Concordat et appelait à une «sortie graduelle et négociée [de ce] régime dérogatoire» dans lequel l’Etat reconnaît, organise et finance les cultes juif et chrétiens en Alsace et en Moselle. Cet esprit laïque de la franc-maçonnerie, conjugué à son origine non musulmane, a toujours suscité une certaine animosité dans les milieux dévots au sein des pays d’islam. Son caractère universaliste et international, qui échappe en partie au contrôle de l’Etat, lui vaudra par ailleurs la méfiance des cercles nationalistes. Effet de la poussée rationaliste du XVIIIe siècle, et aspect manifeste de l’influence européenne, les loges maçonniques – d’abord françaises, anglaises et italiennes – apparaissent dès 1830 en terre d’islam. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, si elles commencent à devenir autochtones – c’est-à-dire ottomanes, essentiellement –, elles comptent encore beaucoup d’étrangers. Elles ne se rencontrent d’ailleurs que dans les villes marquées par une forte présence occidentale et solidement liées sur le plan économique et culturel aux pays d’Europe (Istanbul, Beyrouth, Alexandrie, Le Caire, etc.). Parmi les autochtones qui les composent mêmes, les minorités juives et chrétiennes – intermédiaires traditionnels entre l’Europe et l’Islam – sont souvent surreprésentées. Ainsi en 1869 la loge stambouliote L’Union d’Orient comptait-elle 143 «frères», mais dont seulement 53 musulmans.
La proximité entre franc-maçonnerie et soufisme
Ici comme ailleurs, il s’agit de l’élite cultivée – militaires, magistrats, fonctionnaires, hommes de religion, hautes personnalités telles que le président du Conseil d’Etat Ibrahim Edhem Pacha ou le prince égyptien Mustafa Fazil Pacha, etc. –, élite que caractérise une forte aspiration au progrès et à la liberté, et qui a rencontré ici une structure européenne efficace. Tous ont alors en commun d’avoir fait leurs les «idées françaises», conçues comme étant par excellence celles de la modernité : l’exaltation de la triade Liberté, Egalité, Fraternité, la foi en la civilisation et en la science, le culte du progrès. Et, comme le montrent de manière exemplaire la pensée et l’action de l’intellectuel et réformateur Namik Kemal (1840-1888), cette vénération de l’Occident, d’un Occident dont la place est ici démesurée, ne niait en rien leur attachement à l’islam. Car non seulement la pensée islamique ne devait s’opposer ni à la science, ni à l’évolution des mœurs sociales, ni à celle des formes de gouvernement, mais encore l’islam recélait-il les moyens d’une renaissance susceptible de faire pendant à la modernité occidentale. La greffe a du reste d’autant mieux pris ici que la loge maçonnique relève d’une structure aussi familière qu’ancienne en islam : celle – à la fois ésotérique, corporative et philosophique – dont ont toujours procédé les confréries soufies, les corporations et les ordres chevaleresques (la doctrine commune de l’unicité de l’Etre assurant par ailleurs le passage d’une culture à l’autre). On comprend dès lors que de grandes figures telles que l’émir Abd el-Kader (1808-1883), chef politique moderne et théologien soufi ou les réformistes musulmans Jamal Eddine el-Afghani (1838-1897) et Mohamed Abduh (1849-1905) aient été francs-maçons. Mais aussi qu’il n’y ait aucun paradoxe à ce que la plupart des Jeunes-Turcs – à l’origine de la Turquie kémaliste – aient été à la fois membres de confréries soufies, bergsoniens et francs-maçons
La proximité entre franc-maçonnerie et soufisme
Ici comme ailleurs, il s’agit de l’élite cultivée – militaires, magistrats, fonctionnaires, hommes de religion, hautes personnalités telles que le président du Conseil d’Etat Ibrahim Edhem Pacha ou le prince égyptien Mustafa Fazil Pacha, etc. –, élite que caractérise une forte aspiration au progrès et à la liberté, et qui a rencontré ici une structure européenne efficace. Tous ont alors en commun d’avoir fait leurs les «idées françaises», conçues comme étant par excellence celles de la modernité : l’exaltation de la triade Liberté, Egalité, Fraternité, la foi en la civilisation et en la science, le culte du progrès. Et, comme le montrent de manière exemplaire la pensée et l’action de l’intellectuel et réformateur Namik Kemal (1840-1888), cette vénération de l’Occident, d’un Occident dont la place est ici démesurée, ne niait en rien leur attachement à l’islam. Car non seulement la pensée islamique ne devait s’opposer ni à la science, ni à l’évolution des mœurs sociales, ni à celle des formes de gouvernement, mais encore l’islam recélait-il les moyens d’une renaissance susceptible de faire pendant à la modernité occidentale. La greffe a du reste d’autant mieux pris ici que la loge maçonnique relève d’une structure aussi familière qu’ancienne en islam : celle – à la fois ésotérique, corporative et philosophique – dont ont toujours procédé les confréries soufies, les corporations et les ordres chevaleresques (la doctrine commune de l’unicité de l’Etre assurant par ailleurs le passage d’une culture à l’autre). On comprend dès lors que de grandes figures telles que l’émir Abd el-Kader (1808-1883), chef politique moderne et théologien soufi ou les réformistes musulmans Jamal Eddine el-Afghani (1838-1897) et Mohamed Abduh (1849-1905) aient été francs-maçons. Mais aussi qu’il n’y ait aucun paradoxe à ce que la plupart des Jeunes-Turcs – à l’origine de la Turquie kémaliste – aient été à la fois membres de confréries soufies, bergsoniens et francs-maçons
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