dimanche 12 mai 2013

CHRONİQUES D’UNE FRANÇAİSE À MARDİN – Un dimanche pas comme les autres


Dimanche 5 mai 2013, pour toute la communauté chrétienne orthodoxe de Mardin et de ses alentours, pour les ‘’Süryani’’, c’est le grand jour. Moment de retrouvailles en terre d’Orient pour faire vivre leur culture dans la convivialité et le respect des traditions.
La semaine précédant le dimanche de Pâques, les femmes ont effectué le grand ménage de printemps, préparant ainsi leurs maisons à recevoir les innombrables invités qui débarqueront dimanche. Elles ont aussi, avec l’aide de leurs enfants, colorés de nombreux œufs, comme le faisaient les générations précédentes avec les œufs pondus durant la période du Carême, conservés une fois cuits pour être distribués le jour de Pâques.
Dimanche 9h, je sors de la maison pour me rendre dans la vieille ville à l’église des quarante Martyres, pour assister à la messe de Pâques, invitée par une amie chrétienne, Martha. Vus de l’extérieur, les quatre gros murs d’enceinte ne laissent rien supposer de la richesse intérieure du bâtiment, qui comporte une maison, des salles de réception, une église, un clocher avec sa croix et sa cloche dorée, le tout disposé autour d’une grande cour, pleine d’arbres et de fleurs. Ce lieu, dont la construction débuta en 539 sous le roi byzantin Arsus, fut utilisé comme mosquée sous les ordres d’un roi artoukide en 1170, pour revenir aux mains chrétiens en 1825, selon les inscriptions notées dans la bible de l’église.
Photo MJD
Mais aujourd’hui, ses portes sont grandes ouvertes et il règne dans la vaste cour une agitation digne des grands jours. Les hommes ont revêtu leur plus beau costume, les femmes toutes très chics semblent tout droit sorties d’un magazine de mode. Cheveux, bijoux, maquillage, rien n’a été oublié ; car pour les orthodoxes, la messe de pâques est la célébration la plus importante de l’année, la messe à ne pas manquer.
Martha me présente sa famille, toute la communauté est présente, mais soudain il est déjà l’heure, mon hôte me prend par le bras et nous nous dirigeons vers l’église au fond de la cour, nous rentrons par la porte de gauche tandis que les hommes passent par la droite. Avant de s’assoir, les femmes se saluent d’une manière très belle et fortement symbolique, debout face l’une a l’autre, les mains jointes comme pour prier, elles englobent les mains de l’autre le temps d’un glissement furtif, avant de les porter vers la bouche et d’y déposer un bref baiser plein de foi et de respect. Certaines femmes qui se sont installées plus au fond portent des petits bébés emmaillotés, qu’elles allaiteront s’ils se réveillent, tandis que des enfants aux noms de Michael, Thomas, Denis ou Rebecca courent dans l’église en rigolant. Ici la messe de pâques est un acte convivial auquel chaque participant se rend en famille.
Nous nous asseyons derrière le chœur des jeunes filles, qui ont déposé sur leurs têtes des voilettes blanches de dentelle. Soudain, plus un bruit, le patriarche arrive, vêtu d’une longue aube de couleur crème où sont brodées au fil d’or de petites colombes. Il se tient debout tout puissant sous l’abscisse de l’église. Derrière lui se trouve une immense chaire de bois ornée de petits anges, devant lui, le pupitre portant une vieille bible. Il est entouré d’un autre prêtre et de trois garçons de chœur qui l’assistent dans le déroulement de la cérémonie. La messe commence avec les louanges en araméen chantées par le patriarche, auxquelles fait écho le chœur des jeunes filles, puis il débute son prêche tandis que l’un des garçons de chœur agite une longue canne où sont accrochés des grelots, créant une musique qui accompagne ces mots sacrés. Son compagnon fait onduler un encensoir, répandant le parfum voluptueux de la spiritualité chrétienne dans toute l’église. De petits chérubins en aubes blanches viennent alors réciter à tour de rôle de courtes prières, puis les jeunes filles s’installent au pupitre pour entamer une nouvelle prière, avant de recevoir la bénédiction du prêtre, qui se retire ensuite derrière le rideau orné du Christ crucifié que ferment lentement ses commis. Fin de l’acte un.
La mise en scène est parfaite et lorsqu’au son des grelots, le rideau se rouvre, laissant de nouveau la fumée dévote des encensoirs se répandre dans toute l’église, je sais que tout est prêt pour l’acte II. D’un ton faussement sévère, le patriarche demande alors aux enfants de se calmer ; puis il reprend son prêche, perpétuant ainsi une foi vieille de 2.000 ans, pourtant perpétuellement menacée.
Photo MJD
Après avoir récité une prière pour les morts récents, reprise par toute l’assemblée, il bénit les symboliques pains et vin. Tandis que les enfants de chœur défilent pour embrasser la bible et la main du père, les hommes chantent une dernière louange, pour aller ensuite embrasser la bible a leur tour avant de prendre un petit bout de ce pain sacré, laissant enfin place aux femmes qui mettent ainsi fin a la messe. L’église se vide doucement, seules restent encore les femmes les plus pieuses, allumant avec ferveur quelques cierges au son des dernières prières.
Sous le soleil dominical, riant et bavardant, toute la communauté chrétienne de Mardin est présente dans la cour, pérennisant ce lien qui les rend si fort. A la sortie de l’église, des femmes distribuent des petits pains, des jus de fruits et les fameux œufs. Symboliquement le jeun est rompu, “Joyeuses Pâques !”
La suite des célébrations aura lieu dans les maisons où les familles se retrouveront. Toute la journée, voisins, amis et membres de la famille vont défiler, les hôtes leur proposeront un verre de liqueur et quelques chocolats… Les enfants musulmans du voisinage sonneront à la porte pour récolter bonbons et œufs colorés. Ici, aiment à dire les gens, on célèbre quatre bayrams (la fin du Ramadan, l’Aïd, Noël et Pâques). Et si c’est cette cohabitation respectueuse qui fait l’âme de Mardin, cette ouverture d’esprit ancrée et pourtant si fragile, reste encore et toujours à protéger, car c’est bien là le véritable joyau de cette ville…
Myrtille Jacquet Duyan (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 10 mai 2013

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