lundi 25 mars 2013

Enzo Ikah, un prince du reggae à Beyoğlu


RÉFUGIÉ POLITIQUE, MUSICIEN ENGAGÉ - 
Enzo Ikah, Congolais de 30 ans, connaît un beau succès très loin de son pays, en Turquie. Après un exil forcé et maintes galères, il y a obtenu le statut de réfugié politique. La musique d’Enzo Ikah, c’est un reggae aux paroles engagées, apprécié sur la scène stambouliote qui n’y est pourtant pas habituée. Il prépare la sortie de son deuxième album
Enzo Ikah a les mots durs et tranchants de ceux auxquels la vie n’a jamais fait de cadeau. Son père était pilote, sa mère hôtesse de l’air. Le sabotage de leur avion laisse le petit Enzo orphelin, à quatre mois. Il est élevé par sa grand-mère à Kiombia, un village du bas Congo (Kinshasa).
Une enfance dans la pauvreté, à travailler aux champs, neuf heures par jour, dès l’âge de quatre ans. “Mes premiers duos, je les ai faits avec ma grand-mère, dans les champs de manioc. Elle chantait tout le temps et c’est avec elle que j’ai appris à chanter”, raconte-t-il.
Photo AA
Enzo va tout de même à l’école et au collège, à la mission Tumba. Il chante dans la chorale puis on lui donne un accordéon – “beaucoup trop grand pour moi” - qu’il abandonne pour une guitare.
Dans la force de ses 20 ans, Enzo aurait pu devenir riche et célèbre dans son pays. Sa carrière commence plutôt bien : il écrit, pour les autres, des chansons d’amour. Mais un jour, en 2007, sur un plateau de télévision, il chante un tout autre texte de sa composition, Le soldat voyou :
Ce couplet contre la violence militaire, Enzo le paiera cher. Il est arrêté sur le champ, emprisonné, torturé, condamné à 10 ans de prison. En soudoyant des policiers, le jeune homme parvient à s’enfuir. Il veut se réfugier en France mais l’avion qui l’emmène fait une halte à Istanbul. Enzo n’a pas de visa de transit : son voyage s’arrête là.
Le premier album d'Enzo Ikah, Rainbow.
Une rencontre, une guitare
Suivent des mois de galère, dans un centre de rétention puis à l’air libre mais sans le sou. Il trouve un petit boulot de déménageur dans le quartier de Beyoğlu. Le patron, Ekrem, répare et fabrique des guitares. “Enzo m’a dit qu’il jouait de la guitare mais qu’il n’en avait plus. Et moi, par hasard, j’avais une guitare abandonnée dans un coin, que son propriétaire n’était jamais venu rechercher. Une belle guitare dont personne ne se servait… Je l’ai donnée à Enzo. Elle a scellé le début de notre amitié”, se souvient Ekrem.
Enzo ne se sépare plus de sa guitare. Il l’emmène dans la rue, dans les bars et les concerts où il joue gracieusement. Les médias locaux le repèrent, parlent de lui comme du “Noir le plus célèbre de Beyoğlu”. 2009, Enzo Ikah sort un premier album. Ses chansons ; son style – le reggae – ; un engagement pour son pays, son continent. Exemple avec cet extrait intitulé Marre, chanté en acoustique :
“Je chante ma vie. Je chante la guerre parce que j’ai connu la guerre. Je chante la famine parce que j’ai dû ramasser des choses pour manger. Je veux dire tout haut ce que le peuple dit tout bas”, répète-t-il. “La nouvelle génération doit jouer son rôle et c’est ce que j’essaye de faire dans mon coin. Personne ne viendra changer l’Afrique à ma place !”
Mais les galères ne sont pas finies pour le jeune Congolais. Le Haut Commissariat des Nations Unies lui a accordé le statut de réfugié politique mais ne lui attribue pas de pays refuge alors que la Turquie n’est légalement qu’un pays de transit. Sans passeport pour voyager, Enzo est littéralement bloqué en Turquie. Sur une feuille, il a écrit un code : 385 08C 00 295… Son numéro de dossier, dans l’espoir que son appel soit entendu à Genève
En attendant, Enzo Ikah s’apprête à publier un deuxième album : Welcome to Istanbul.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal. com/Istanbul) lundi 25 mars 2013
Son site internet officiel : http://enzoikah.com/
Lire ici notre précédente rencontre avec le chanteur, en 2009

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