vendredi 5 octobre 2012

Ma nuit en zone de transit à l’aéroport Atatürk


Rester bloquée une nuit en zone de transit à l’aéroport Atatürk pour une erreur administrative, voilà un scénario qui n’est pas sans évoquer celui du film Le Terminal avec Tom Hanks…

Lundi 1er octobre à 19h, je rentre à Istanbul après deux semaines de vacances en France. Mais je me réjouis un peu trop vite de retrouver les saveurs de la ville : je ne dépasse pas les barrières situées dans la zone de contrôle des passeports. Je ne suis en effet pas en possession de mon ikamet. Il s’agit du permis de séjour indispensable au stambouliote étranger désireux de rester plus de trois mois en Turquie, depuis la réforme des visas touristiques de février 2012.
J’avais pourtant accompli toutes les démarches nécessaires pour obtenir mon ikamet. Mais le jour où je devais le récupérer, soit la veille de mon départ en France, il n’était pas prêt. J’avais alors demandé aux officiers du poste de police d’Aksaray si mon séjour en France poserait un quelconque problème. Question à laquelle on m’a répondu très clairement : “non, bien sûr aucun problème”.
Me voilà donc refoulée à l’entrée en Turquie, traitée avec mépris, ignorée, avec pour seul mot d’ordre : “attendez !” Je subis alors l’incompétence des policiers en service ce jour-là, les voyant répéter les mêmes gestes et constater, hébétés : “On ne vous trouve pas dans le système”. J’essaie tant bien que mal de leur raconter pourquoi ils ne me trouvent pas. Ils ne me laissent pas parler, ne cherchent pas à me comprendre, et ne parlent qu’un anglais minimaliste.
Finalement, on m’annonce que je dois attendre jusqu’au lendemain matin. Et là, trois propositions s’offrent à moi : dormir dans une pièce fermée à clef avec d’autres femmes en détention administrative, prendre une chambre à l’hôtel de l’étage pour la modique somme de 200€ ou errer dans la zone Duty Free de l’aéroport. Je choisis bien évidemment la dernière.
Le matin, je harcèle un agent pour qu’il appelle Aksaray. Il s’exécute après quelques heures durant lesquelles il me répète que lui et ses collègues sont débordés, alors qu’ils sont tous assis en face de moi en train de boire leur café.
Ce traitement affligeant, le stress de ne pas voir se présager de solution, fatigue et panique m’ont fait sortir de mes gonds. Peut-être ai-je été aussi inconsciemment vexée. Quoi ? Moi, citoyenne française, ressortissante du pays des “Droits de l’Homme” (à prononcer lèvres pincées), devenue persona non grata ? Colère légitime ou simple complexe de supériorité français ?
Durant mes tergiversations nombrilistes, j’avais peut-être choisi d’ignorer la situation de mes compagnons d’aventure, très certainement plus à plaindre que moi.
Devant les barrières, entre les différents distributeurs de boissons, quelques familles attendent sagement que l’on décide de leur sort, à même le sol. J’ignore d’où ils viennent et depuis combien de temps ils sont là.
Mais juste avant d’être libérée, au petit matin, je fais la rencontre d’Issa (1), 34 ans. Ressortissant d’un état africain en guerre, ingénieur à l’origine mais aussi capitaine dans l’armée par devoir, il a déserté, laissant au pays ses proches et ses papiers. S’il retourne chez lui, il risque la prison à vie par décision de la cour martiale ou pire, l’exécution.
Il me raconte calmement être coincé en zone de transit depuis trois mois. Le premier mois, il a été renvoyé 21 fois dans différents Etats africains. Son but est d’aller à Londres, mais on le fait à chaque fois transiter par Istanbul où il est désormais bloqué. Au début, certains policiers s’amusaient à le tabasser, “mais ça n’a pas duré, ils ont vu que je savais me défendre”. Ces horreurs, il les confie sans élégie. Il reste digne. Et le doit en partie au fait qu’une antenne de la compagnie Turkish Airlines, qui possède un petit local dans la zone en question, l’a pris sous sa protection. Il les aide comme il peut. Ils le nourrissent en échange et lui offrent un petit endroit où dormir. “Je ne peux pas rester inactif, j’ai besoin de m’occuper”. Il peut aussi aller se doucher, sous escorte policière.
Il évolue donc depuis plusieurs semaines, sous les lumières artificielles de l’aéroport, sans accès à l’air libre. Et confie presque fièrement : “tout le monde me connaît maintenant ici”. Il me supplie de l’aider, lorsque je serai dehors, de parler de lui, de contacter des ONG (2). Et me dit que j’ai de la chance. “En France il y a les droits de l’Homme”. Il assène cette vérité comme on affirmerait qu’en France il y a l’eau courante ou l’électricité. Une notion qui désigne quelque chose de fiable, palpable, accessible à tous de manière plutôt équitable.
Et l’ironie, c’est que toute cette aventure n’a cessé de m’évoquer Bienvenue en France, l’enquête en immersion d’Anne de Loisy en zone d’attente de Roissy. Où l’on découvre avec stupeur les conditions de détention administrative des personnes en attente de visa pour la France.
Conseils pour ne pas vous retrouver dans la même situation que moi :
- Eviter d’être aussi naïf et ne pas prendre au pied de la lettre la réponse “non” lorsqu’on demande si l’on risque avoir des problèmes.
- Toujours avec un document écrit, s’assurer qu’il soit compréhensible et authentifié.
- Avoir un portable chargé pour communiquer avec l’extérieur, et un peu d’argent pour subsister.
- Garder son calme et relativiser …
Fanny Fontan (http://www.lepetitjournal.com/) vendredi 5 octobre 2012
  1. Pour la sécurité de la personne en question, le nom a été volontairement modifié, et son pays d’origine non précisé.
  2. Depuis Amnesty et Helsinki ont été alertés et font leur possible pour lui venir en aide

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