vendredi 25 janvier 2013

UNE HISTOIRE VRAIE D’ISTANBUL - Yaşama, par Galip Tekin


À l’occasion de Marseille-Provence 2013 Capitale européenne de la culture, l’écrivain français François Beaune fait le tour de la Méditerranée pour collecter des “histoires vraies”. Lepetitjournal.com d'Istanbul, partenaire de son projet, diffuse à partir d’aujourd’hui, tous les 15 jours, une histoire vraie de Turquie. Galip Tekin, célèbre illustrateur et bédéiste turc, lui a raconté cette histoire (en turc) et en a fait une bande dessinée.
"Comme je dessine des histoires bizarres, tout le monde pense que je prends de l'héroïne. En fait, je dessine juste des histoires que j'ai vécues. Avant de dessiner des planches de BD, j'étais machiniste dans le cinéma. J'étais à Konya, en Turquie. A Konya, il est très facile de vivre des choses bizarres. Surtout à cette époque, vers 1975-1976, les gens vivaient d'une façon un peu folle. Nous aussi bien sûr... On était un peu des voyous...

Galip Tekim et François Beaune à Istanbul (photo FB)

Donc, à Konya, dans un cinéma, il y avait un ouvreur ; il s'occupait de montrer les places aux gens, il nettoyait la salle, etc. Il était un peu simplet, un peu mongol... Il m'aimait beaucoup et il m'apportait toujours les journaux que les gens laissaient à leur place. J'avais l'habitude de les lire pendant que je projetais les films pour passer le temps. En général, on regarde le film lors de la première projection mais ensuite, pendant les suivantes, on s'ennuie...
Ce type avait une particularité : il ne supportait pas qu'on n'accepte pas ce qu'il nous donnait et si on refusait, il s'énervait d'une façon extraordinaire. Une fois, il s'était mis en tête de m'offrir du kuru fasulye (cassoulet turc) ; comme je n'avais pas faim, j'avais refusé et il était devenu comme fou...
Bref... Comme il provoquait toujours des bagarres dans le cinéma, il a été renvoyé. Son père lui a trouvé une place à la mairie au service des pompes funèbres. Je ne sais pas ce qu'il faisait, quelle fonction il exerçait, est-ce qu'il creusait les tombes, surveillait les cimetières ou avait-il un poste dans un bureau ? Je ne sais pas...
Un soir, alors que je montais une bobine, il est arrivé. En le voyant, je lui ai souhaité la bienvenue et pour rire, je lui ai demandé s'il avait apporté le journal. Il m'a répondu que non, mais qu'il m'avait apporté un cadeau. Dans sa main, il avait un gros paquet enveloppé dans du papier journal. Je lui ai demandé ce que c'était et il m'a répondu que c'était un crâne. Un crâne ? Oui, il m'a dit que c'était le crâne de mon père, qu'il l'avait trouvé dans la tombe de mon père. J'ai ouvert le paquet et choqué, j'ai bien vu le crâne !!!
En observant le cadeau, j'ai compris que ce n'était pas le crâne de mon père parce mon père s'était suicidé et qu'il y aurait dû y avoir un trou dans le crâne d'environ 65 mm d'un côté et d'environ 4 cm de l'autre. J'ai pas eu le temps de le remercier... Il avait repris le crâne et l'a posé sur une boîte de films.
Et il est parti... Je suis resté dans la cabine avec le crâne... En tête à tête avec lui... Je le regardais, il me regardait... J'étais jeune a cette époque et je pensais que, dans ce cinéma, le propriétaire compris, il y avait eu trois morts... En regardant le crâne, je me demandais ce que je dirais à la police si elle venait et me demandait à qui était ce crâne et d'où il venait...
Finalement, j'ai décidé de m'en débarrasser... Avec un marteau, je pouvais le mettre en morceaux et en sortant du cinéma, je pouvais jeter les morceaux dans différentes poubelles... Même si c'était un truc mort, rien que de penser de le mettre en morceaux me mettait mal à l'aise. Pendant l'entracte, j'ai décidé de l'emporter dans la chaufferie. A l'époque, il n'y avait pas de gaz naturel... Le crâne n'a pas brûlé !!!
Je l'ai rapporté dans la salle de projections. Après le premier film, pendant que je montais la bobine du deuxième, un de mes amis est arrivé. Il m'a demandé si j'avais quelque chose à faire parce qu'il voulait que j'aille avec lui pour tuer son oncle... Je lui ai répondu que j'avais du travail, que je n'avais pas le temps de lui donner un coup de main, que j'étais seul parce que mon assistant était en congés...
Vous n'imaginez pas l'atmosphère qui régnait à cette époque-là, tout le monde était "fou" ! Imaginez ! Si mon assistant avait été là, j'aurais dit d'accord et on serait allés assassiner son oncle !
Fâché, il est parti en me disant qu'il se débrouillerait seul... Il n'a pas pu le tuer mais il a été arrêté le lendemain pour avoir incendié la maison de son oncle. Il avait vidé des bidons d'essence et avait mis le feu à la maison...
La nuit s'est terminée sans soucis et j'ai pris le crâne que j'ai jeté dans un cimetière en allant chez un ami... Heureusement que les temps ont changé et que nous vivons d'une façon beaucoup plus raisonnable aujourd'hui... Enfin, c'est grâce à ça aussi que je peux raconter et illustrer mes histoires invraisemblables aujourd'hui."
François Beaune (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 25 janvier 2013
Cette histoire vraie fera partie du livre que François Beaune publiera aux éditions Verticales en octobre 2013. Vous aussi, vous pouvez déposer la vôtre dans la bibliothèque disponible sur le site de Marseille-Provence 2013
Texte traduit du turc par Delphine Odabaçi Allain
Ecoutez la version sonore de cette histoire vraie.
La version BD de cette histoire vraie illustrée par Galip Tekin sur le site du petitjournal: (http://www.lepetitjournal.com/istanbul)

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