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Malgré de réelles avancées comme l’enseignement du kurde à l’école, la Turquie reste très hostile à l’emploi du kurde pour désigner des lieux publics comme l’illustrent plusieurs décisions de justice. De nombreux intellectuels turcs et kurdes n’hésitent plus à dénoncer l’archaïsme de leur pays sur ce sujet.
A la lumière de l’interdiction d’utiliser la langue kurde dans la sphère publique en Turquie, le verdict de la Cour administrative de Diyarbakir ordonnant, le mois dernier, le changement du nom kurde d’un centre des arts, de la culture et de la jeunesse ainsi que celui de 19 parcs publics à Diyarbakir n’a surpris personne. Pourtant, face aux réformes turques sans précédent sur la question kurde, et en particulier depuis le début des négociations pour l’adhésion à l’UE, interdire des mots ou des noms en raison de leur origine kurde semble désormais archaïque. Les noms attribués aux centres culturels et aux parcs ont été considérés comme inappropriés, pour le motif qu’ils ne figurent pas dans le dictionnaire de l’Institut de la langue turque (TDK). En 2009, la municipalité de Kayapinar, rattachée à Diyarbakir, avait fait appel auprès de la préfecture afin d’obtenir la reconnaissance légale d’un parc nommé en l’honneur du poète kurde Cegerxwîn. Suite au rejet de la requête prétextant que le nom n’était pas turc, la municipalité a entamé des poursuites auprès de la Cour administrative de Diyarbakir. La Cour a confirmé le verdict et les fonctionnaires municipaux ont déclaré mercredi, à Zaman, qu’ils avaient fait appel de la décision.
La justice, dernière chasse gardée du kémalisme ?
Malgré les 2.500 requêtes reçues par l’université Artuklu de Mardin pour l’enseignement du kurde, réelles avancées décrites par l’intellectuel kurde Orhan Miroglu comme «notre nouvelle réalité», les tentatives d’interdire les représentations publiques de personnalités kurdes et la pratique du kurde entachent l’effort de la Turquie pour une plus ample libéralisation. Le mois dernier, les membres du Conseil général de la municipalité de Dogubeyazit, rattachée à la province d’Agri, ont été condamnés à une peine d’un mois et vingt jours de prison et le maire du district à six mois de prison, pour avoir donné à un parc le nom du poète et philosophe kurde Ehmedê Xanî. De tels évènements confirment l’idée de Orhan Miroglu selon laquelle «malgré toutes les réformes judiciaires, le paradigme kémaliste dans le secteur judiciaire est protégé». Le politologue et éditorialiste du journal Sabah, Hasan Bülent Kahraman, ajoute qu’«utiliser le kurde dans la sphère sociale est vu d’un mauvais œil car cela est considéré comme une "kurdisation" de la région et comme des concessions faites aux Kurdes». Pour autant, la logique qui s’oppose à l’utilisation des noms kurdes car ils portent des lettres tels que le Q, le W et le X ne concerne pas l’usage de l’anglais ou du français dans la vie quotidienne. De plus en plus de commerces adoptent des noms anglais, la lingua franca du monde contemporain, mais aucun procès n’a été entamé à leur encontre pour avoir choisi des noms qui ne figurent pas dans le dictionnaire officiel turc.
Le risque de radicalisation des Kurdes
L’éditorialiste de Zaman et politologue Dogu Ergil pense que ces interdictions sont une manifestation de l’incapacité de la Turquie à «accepter sa réalité sociologique». Dogu Ergil affirme que l’utilisation d’une langue relève d’un problème de droits de l’homme et que «la Turquie perd son temps, son énergie et son prestige» dans sa lutte actuelle contre la langue kurde. Le politologue pense d’ailleurs que de telles lacunes prouvent que la Turquie n’est pas encore devenue un vrai Etat démocratique. Pour l’écrivain kurde Ibrahim Güçlü, le danger de telles décisions est qu’elles vont provoquer «des comportements radicaux» chez les Kurdes.