par Aurelien Denizeau, jeudi 9 août 2012, 22:38 ·
Puissance éphémère et méconnue, l'Etat fondé au début du XIXème siècle par les Sikhs du Pendjab est un des plus originaux que l'Asie ait vu naître en ces temps troublés. La volonté de fer d'un jeune gouverneur, le futur râja Ranjît Singh, permit la fondation d'un royaume du Pendjab unifié, ouvert à toutes les religions, et doté d'une armée moderne. Seule l'implacable machine de guerre britannique parvint à écraser cet Etat innovateur, le faisant tomber sous le joug colonialiste.
Frontières probables du royaume sikh du Pendjab à son apogée.
Lorsqu'il devient gouverneur de Lahôre (actuel Pakistan) en 1792, le jeune Ranjît Singh n'a que 12 ans; il est alors sous la tutelle des Afghans, dont il ne deviendra indépendant qu'en 1799. Nommé Râja en 1801, il entame la conquête des grandes villes et régions du Pendjab: Amitsar tombe en 1802, et dès 1805, il est reconnu comme chef légitime par la plupart des chefs sikhs de la région. En 1823, Ranjît Singh contrôle un vaste royaume qui comprend la région de Lahôre, le Cachemire, le Peshâwar, une partie du Tibet et tout le nord-ouest de l'Inde actuelle.
Royaume sikh, pouvoir multiconfessionel
Quoique dirigé par de grands chefs sikhs, le royaume de Ranjît Singh se distingue par une politique d'ouverture et de tolérance religieuse exceptionnelles pour cette époque et cette région. Séculier, cet Etat choisit de s'appuyer sur les différentes communautés religieuses qui le composent. Traités à égalité, les musulmans et les hindous sont protégés par le Râja qui les associe à son pouvoir, et demeurent bien entendus libres de pratiquer leur culte.
Ainsi l'administration est-elle équitablement partagée entre sikhs, hindous et musulmans; c'est également un triumvirat issu de ces trois religions qui est chargé, en 1931, de représenter le royaume auprès des Britanniques.
Quant aux chrétiens, ils sont enrôlés dans les milices et forment de ce fait une communauté d'élite du royaume, protégée et respectée.
En 1931, Ranjît Singh fait recouvrir d'or l'édifice le plus sacré des Siths, le "Harmandir Sahîb", qui prend alors le nom de "Temple d'Or".
Cette politique de tolérance explique la richesse des édifices religieux légués par le royaume sikh; les mosquées des territoires conquis sont épargnées, et parfois même reconstruites après leur destructions. Il en va de même des temples hindous.
Ranjît Singh doit également écraser une secte sikhe extrémiste, celle des Akalis. Bien que les Sikhs ne soient que 10% de la population du Pendjab, ces fanatiques sont hostiles à la politique de tolérance des hindous et des musulmans. Une armée moderne et bien équipée l'aidera à les contrer.
Jean-François Allard et la modernisation de l'armée sikh
Écrasé entre les royaumes d'Asie Centrale et les colonies britanniques, l'Etat sikh du Pendjab ne devait sa survie qu'à deux facteurs. En premier lieu, il protégeait la Compagnie des Indes Britannique des incursions en provenance de Perse et d'Afghanistan. Mais surtout, il s'était doté d'une armée moderne, de type napoléonien, fondée et en partie commandée par le Français Jean-François Allard.
Ancien capitaine de la Grande Armée de Napoléon, ce fidèle soldat de l'Empereur s'exila après la défaite de Waterloo; il partit tout d'abord en Perse, avant d'arriver au royaume du Pendjab nouvellement formé. En 1822, le Râja Ranjît Singh lui confie, ainsi qu'à son ami italien Ventura, le soin de réorganiser son armée.
Les deux compères s'attellent à la tâche en prenant le commandement d'une brigade spéciale, connue par les Anglais comme la "French Brigade". Son efficacité et sa modernité permettent au Râja de conquérir le Peshâwar en 1823: une fructueuse association était née.
Deux autres militaires, Claude-Auguste Court (français) et Paolo Avitabile (italien) prennent à leur tour la tête de brigades d'élite. Leur efficacité est telle que Ranjît Singh décide d'équiper et d'entrainer toute son armée sur le modèle napoléonien. C'est ainsi que le royaume sikh du Pendjab devient une puissance militaire de pointe, respectée et redoutée de ses voisins.
Représentations de Jean-François Allard (à gauche) et du Râja Ranjît Singh (à droite); les compétences militaires du premier combinées à la grandeur politique du second permirent au Pendjab de devenir une puissance d'envergure.
Décadence et conquête britannique
En 1939, Ranjît Singh meurt après un règne de 38 ans. Plusieurs de ses épouses et de ses "femmes-esclaves" s'immolent sur son tombeau. Isabelle Alonzo n'apprécierait guère. La crise de succession qui s'ouvre affaiblit terriblement l'Etat. Plusieurs factions se créent, s'opposent et complotent.
Toujours prêts pour un coup tordu, les Britanniques fondent sur ce royaume en crise. Ils ravivent les vieilles tensions religieuses, que Ranjît Singh avait voulu apaiser; en 1946, ils s'appuient sur une faction sikh pour envahir le pays; désorganisée, la puissante armée est balayée à Sobraon. Une partie du Pendjab est annexée par les Britanniques, mais un Etat sikh se maintient tant bien que mal.
En 1849, les Britanniques décident d'en finir et écrasent les Sikhs à Gujrat, avant d'annexer leur Etat.
Un siècle de colonisation britannique aura fait bien des ravages. Partagé entre l'Inde, la Chine et le Pakistan, l'ancien royaume sikh du Pendjab est aujourd'hui le théâtre d'innombrables conflits interethniques et confessionels.
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