Inventeur, “visionnaire” diront certains, “farfelu” riront d’autres, Nabi Melekoğlu est avant tout un passionné. Cet habitant de Bayburt, dans le nord-est de la Turquie, consacre son temps libre à des projets de recyclage. Dans un pays qui réutilise à peine 1% de ses déchets municipaux, Nabi Melekoğlu fait figure d’exception. Sa maison, elle, est sans doute unique au monde Il fallait y penser, il fallait surtout le faire. Nabi Melekoğlu et sa famille vivent dans une maison entièrement recouverte de portes de réfrigérateur (photo). 350 portes collectées une à une chez les ferrailleurs de Bayburt. Fulgurance artistique ? Soif de publicité ? Ni l’une ni l’autre. La passion de Nabi pour l’écologie est aussi sincère que sérieuse.“Un jour, j’ai vu des réfrigérateurs brûler en pleine nature. Cela m’a horrifié. Tenez, regardez cette fumée noire…” Il sort son téléphone portable et montre une photo qu’il a prise ce jour-là. “Je me suis dit que cela ne pouvait pas durer. Pendant trois ans, j’ai réfléchi à une manière de réutiliser le polyuréthane.”Polymère d’uréthane, une molécule organique dont la mousse recouvre les parois de nos réfrigérateurs. Un excellent isolant et un terrible polluant, qui ne se recycle pas. Sa combustion dégage des gaz mortels, tels le cyanure d’hydrogène et le monoxyde de carbone.Une économie de 40% sur la facture de gaz
Les hivers de Bayburt sont connus pour leur froid glacial. Dans leur maison mal isolée, comme 90% des habitations de Turquie, les Melekoğlu étaient contraints de pousser le chauffage. Chaque année, la facture de gaz naturel atteignait un nouveau record, la Turquie étant dépendante des importations russes, azéries ou encore iraniennes.Depuis qu’il a recouvert sa maison de portes de frigo, Nabi Melekoğlu a réduit de 40% son budget chauffage. “Avant, nous nous chauffions pour 4.000 livres turques par an (environ 1.700 euros, ndlr). Aujourd’hui, nous ne payons plus que 2.400 livres”, assure-t-il. L'homme a pourtant subi les moqueries et le scepticisme des voisins. Certains l’ont pris pour un fou. Au début, son propre fils n’y croyait pas et sa femme s’y opposait. “Mais je ne recule devant rien quand il est question d’environnement”, assure-t-il, un grand sourire derrière son épaisse moustache. D'ailleurs, quand il ne conçoit pas de nouveaux projets, Nabi Melekoğlu parcourt les déchetteries à la recherche de matériaux à recycler.
En Turquie, la majorité des déchets municipaux sont enterrésEt ce ne sont pas les matériaux qui manquent. Autant le recyclage est un mode de vie chez Nabi Melekoğlu, autant la plupart des Turcs y restent peu sensibles. D’après Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, “en Grèce tout comme en Turquie, seul 1% des déchets municipaux traités en 2010 ont été recyclés et 99% d'entre eux ont été mis en décharge en Turquie. Le pourcentage le plus élevé de déchets municipaux incinérés, sur le pourtour méditerranéen, a été observé en France (34%).” Eurostat souligne que “la mise en décharge représentait encore près de 40% des déchets municipaux traités dans l'Union européenne en 2010”.L’Institut des statistiques de Turquie (TÜIK) fournit un tableau précis du devenir de ces déchets. En 2010, les mairies du pays ont collecté un peu plus de 25 millions de tonnes d’ordures et autres déchets ménagers (soit 1,14 kilo par jour et par personne). Environ 54% d’entre eux ont pris la direction d’un des 52 centres d’enfouissement contrôlés du pays, tandis que 43,5% se retrouvaient en décharge municipale. Une infime part (0,8%) était transférée vers un centre de compostage (pour les déchets organiques). Ce sont là les “1%” dont parle Eurostat.Moins de 40% des déchets produits chaque jour seraient recyclésLes mairies turques sont responsables de la collecte, du tri et du devenir ultime (stockage, élimination ou recyclage) des déchets de leurs habitants (article 15 de la loi municipale de 2005). Toutefois, ces dernières missions sont souvent sous-traitées à des entreprises agréées. Le marché du recyclage n’a donc cessé de se développer pour représenter aujourd’hui plusieurs centaines de millions de livres de profits.Tous comptes faits, actions du privé et du public combinées, un rapport de la Chambre des experts comptables indépendants d’Istanbul (ISMMMO) estimait en 2009 que moins de 40% des déchets produits chaque jour en Turquie étaient recyclés. Il s’agit le plus souvent de déchets facilement recyclables (emballages, papiers, cartons, métal etc.) Le traitement des autres déchets dits “dangereux” pour l’homme ou l’environnement (huiles alimentaires usagées, pneus, piles, déchets médicaux et électroniques) est beaucoup plus aléatoire.“Un vrai problème” pour Nabi Melekoğlu qui, avec son dernier projet, continue d’attirer l’attention sur les déchets toxiques. Le recycleur de Bayburt veut emmener sa famille en tour du monde dans une caravane construite entièrement en pièces recyclées. “Bien sûr”, annonce-t-il le plus naturellement du monde, “le véhicule sera recouvert de portes de réfrigérateur.”
Anne Andlauer www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 26 avril 2012
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