lundi 20 mai 2013

TURQUIE: OBÉSITÉ INFANTILE


 – “Dans l’imaginaire des parents, un enfant en bonne santé doit être gros”
Le gouvernement turc a lancé l’an dernier une campagne nationale anti-obésité pour faire maigrir une population de plus en plus en surpoids. Le problème prend des proportions inquiétantes: en moyenne, un Turc sur trois est obèse, une prévalence supérieure chez les femmes que les hommes et de plus en plus fréquente chez les enfants. Rencontre avec Eliya Benbiçaço, pédiatre à Istanbul.
Lepetitjournal.com d’istanbul : Comment expliquer la prévalence de l’obésité chez les enfants turcs ?
Eliya Benbiçaço (photo LPM): En Turquie, l’obésité des enfants est un problème qui ne cesse de croître. Cela résulte d’une sédentarisation provoquée par la télévision, l’usage des téléphones mobiles, des jeux vidéos, des ordinateurs… Ce n’est pas propre à la Turquie, mais c’est un symptôme des temps modernes. Quand, enfant, je rentrais de l’école, j’allais m’amuser dehors. Aujourd’hui, les enfants grignotent devant leurs écrans. On allait à l’école à pied. Maintenant, à Istanbul, il y a un service de bus qui passe chercher les enfants à la porte de leur maison. Autrefois, les aliments étaient naturels : on mangeait des fruits et des légumes. Dans les supermarchés, il n’y avait pas toutes ces sucreries. Les aliments d’aujourd’hui, principalement les jus de fruit, contiennent beaucoup de glucose.
Comment peut-on dire qu’un enfant est obèse ?
On fait un calcul prenant en compte son poids et sa taille, permettant de définir son indice de masse corporelle. Celui-ci correspond à la taille de l’enfant divisée par le carré de son poids. Si le résultat est supérieur à 25, on peut dire que l’enfant a du poids. S’il est supérieur à 30, alors l’enfant est obèse. On doit alors faire tout ce qui est possible pour que l’enfant revienne à un indice normal.
Quels en sont les risques ?
Un enfant atteint d’obésité risque de souffrir d’apnée, de ne pas bien respirer. En raison du manque d’oxygénation du cerveau, l’enfant peut souffrir de problèmes de mémoire ou de concentration. Il y a aussi un risque d’hypertension, même chez les jeunes enfants. Quand ils sont obèses, la pression artérielle est supérieure à la norme. Le diabète est un autre risque. Enfin, on peut observer des problèmes d’orthopédie : les genoux peuvent par exemple être affectés par le poids.
Comment lutter contre l’obésité, notamment infantile ?
Quand un enfant obèse vient dans mon cabinet, je dis aux parents : “Quand vous allez au supermarché, n’y allez pas avec lui.” Les enfants sont influencés par les publicités qu’ils voient à la télévision, et les parents aujourd’hui ne savent pas dire non. Je leur dis de ne pas acheter de soda, mais de faire boire de l’eau, de l’ayran, du jus d’orange fraîchement pressé ou des thés à la camomille à leur enfant. Et je leur recommande de remplacer les sucreries par des fruits, même des fruits secs. Au moment de la croissance, l’enfant ne peut pas subir de diète trop importante. L’important est de changer le mode de vie des enfants en concertation avec l’école et les parents. Il faut par exemple leur imposer de ne regarder la télévision qu’une heure par jour maximum, ce qui est déjà recommandé aux États-Unis. Il faut changer leurs habitudes alimentaires, notamment en les poussant à manger lentement. Le repas du soir est très important, pour que l’enfant et les parents parlent ensemble de ce qu’ils ont fait dans la journée.
Photo MonotonousSarah Flickr/CC
Des cours de sport sont-ils mis en place, notamment dans les écoles, pour lutter contre l’obésité ?
Les enfants font des exercices une ou deux fois par semaine, mais ce n’est pas suffisant. Le plus important est que l’enfant fasse un sport qu’il aime. Tous les sports sont à prendre en considération, sans oublier par exemple la danse moderne ou la gymnastique rythmique. Le tai-chi est également un sport bénéfique. Certains enfants appréciaient les cours que j’avais mis en place ces dernières années dans mon cabinet, mais d’autres trouvaient cela trop lent. Pourtant, le tai-chi a des effets bénéfiques, non seulement sur le corps, mais aussi sur la concentration et sur la socialisation des enfants, qui n’étaient plus agressifs.
Cela est-il déjà arrivé qu’un enfant vienne de lui-même dans le cabinet en disant qu’il souffre de son obésité, notamment parce qu’il est victime de moqueries de la part de ses camarades ?
Oui, c’est un problème qui peut arriver à tous les enfants qui sont obèses. L’enfant ne voudra pas faire de sport parce qu’on se moque de lui : c’est un véritable cercle vicieux. Il n’ira plus dans les week-ends organisés ou aux fêtes d’anniversaire, se repliera sur lui-même et, pour se venger, mangera beaucoup plus.
Le programme de lutte contre l’obésité mis en place par le gouvernement l’été dernier est-il efficace selon vous ?
Je ne crois pas que les publicités à la télévision et les affiches préventives soient très efficaces. Dans l’imaginaire des parents, et surtout des grands-parents turcs, un enfant en bonne santé doit être gros. C’est difficile de changer les mentalités.
Propos recueillis par Laurène Perrussel-Morin (http://lepetitjournal.com/istanbul.html) lundi 20 mai 2013

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