vendredi 8 février 2013

TRAIT D’HUMEUR – De l’expression “Tête de Turc”


Jean-Michel Foucault, lecteur du petitjournal.com d’Istanbul, nous envoie ce billet d’humeur. Motif de son énervement : l’expression “Tête de Turc”, poncif du langage courant et médiatique. Qu’en pensez-vous ? Les commentaires sont ouverts !
Cela se passe dimanche 3 février 2013, au cours du 13:15, le magasine de France 2, à l'occasion d'un sujet concernant Christiane Taubira, ministre de la Justice. Il n'aura fallu qu'une minute et 21 secondes pour que soit prononcée trois fois sur la chaîne française l'expression "tête de Turc".
Anna Cabana, du journal Le Point, nous apprend que Christiane Taubira est devenue la “tête de Turc” de l'UMP, expression reprise dans la foulée, à l'imparfait, par Marie Drucker, la présentatrice de l'émission, immédiatement suivie par Yves Thréard, éditorialiste au Figaro, qui ajoute qu'elle l'est toujours et qu'elle va le rester : "Quand vous êtes une tête de Turc ou quand vous êtes un bouc émissaire…"
Par trois fois, ces personnalités respectables vont utiliser, vraisemblablement sans penser à mal, une expression tout à fait xénophobe au cours d'un programme de grande écoute auquel participait le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici.
Tête de Turc est aussi le titre d’un film sorti en France en 2010.
La banalisation de cette expression est tout autant inadmissible que serait aujourd'hui inacceptable l'utilisation d'autres expressions et quolibets susceptibles de stigmatiser, blesser ou mépriser d'autres peuples. Il était tout à fait banal dans les années 60, pour parler des Algériens, d'utiliser les mots “bicots”, “crouilles” et “crouillats”, “bougnoules” ou “ratons”. Sans parler du succès, pendant de longues années, de cette chanson répugnante stigmatisant les femmes musulmanes, "pourquoi la Fatma avait chaud, etc. etc.", que les générations d'avant et d'après-guerre ont toutes chanté, sans réfléchir au sens et à sa portée, comme ne réfléchissent pas aujourd'hui ceux qui utilisent l'expression "tête de Turc", qui plus est sur un plateau de télévision publique.
Bien que ceux qui la prononcent s'en défendent, cette expression aujourd'hui complètement banalisée comme l'étaient les expressions citées plus haut, est du même niveau, sauf que son histoire est plus ancienne et que l'on n'a pas forcément envie de s'en souvenir.
La “tête de Turc” n'est pas seulement, dans un groupe d'individus, la personne considérée comme responsable de tous les maux, le souffre-douleur. Cette expression a des origines bien plus douloureuses liées à la haine et à la peur des Turcs. Rappelons seulement qu'au 19ème siècle et début du 20ème, nos arrières grands-parents raffolaient des stands forains où l'on "canardait" avec des boules, des têtes de Turcs.
Nos journalistes bien aimés, prompts à dénicher le racisme ordinaire, feraient bien de balayer devant leur porte. Il est regrettable que lorsque le sujet touche à la Turquie et aux Turcs, la presse bien-pensante perde ses repères pour s'accrocher aux contre-vérités et aux préjugés qui font partie, chez nous, de l'image de ce pays.
Jean-Michel Foucault (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 8 février 2013

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