Article paru sur:www.zamanfrance.fr
L’énorme succès du film Fetih 1453 en Turquie avec 5 millions d’entrées n’est que la face visible d’un nouvel attrait de la société turque pour son passé ottoman. Loin de tout sentiment nostalgique, ce retour en grâce de l’ottomania s’explique par l’ouverture internationale de la Turquie et son émergence comme puissance économique.
Le film turc Fetih 1453 («La Conquête 1453»), un blockbuster à la gloire des Ottomans et de la conquête d’Istanbul, bat actuellement des records au box-office : plus de 5 millions de Turcs l’ont déjà vu. C’est, de fait, le plus gros succès cinématographique qu’ait jamais connu le pays. Cette popularité est assez révélatrice d’un phénomène nouveau, qui est l’intérêt que manifestent les Turcs à l’égard de leur passé ottoman : aujourd’hui, en Turquie, l’ottomania est très en vogue. Au cours des dernières années en effet, les Turcs ont renoué avec leur passé ottoman, abandonnant du coup la pensée de Mustafa Kemal Atatürk du début du XXe siècle. Beaucoup d’entre eux ne veulent plus de cette idéologie du repli sur soi. Au contraire, encouragés par les records de croissance économique enregistrés durant la décennie écoulée, et par ailleurs lassés par une pensée kémaliste aujourd’hui centenaire, les Turcs se sentent de nouveau… impériaux. Pour autant, cet engouement pour l’héritage ottoman n’est pas un simple «retour vers le passé».
Istanbul, «une Babylone ottomane bigarrée»
Au contraire, le développement de l’ottomania est lié à ceux, bien contemporains, du consumérisme et de la politique néo-ottomane. La résurgence de l’ottomania est particulièrement sensible à Istanbul, l’ancienne capitale de l’Empire. Istanbul était autrefois une métropole animée au cœur d’un vaste empire. Une Babylone ottomane bigarrée, où coexistaient une multitude de langues et de religions. Avec l’effondrement de l’Empire ottoman, l’Istanbul impériale d’autrefois a disparu, laissant place à une ville de plus en plus homogène. Mais voilà que depuis peu la ville est en train de retrouver sa dimension impériale, et que le cosmopolitisme est de retour. Le phénomène est dû à une série de facteurs qui vont de la chute du rideau de fer — qui a permis à la ville d’avoir à nouveau accès à son arrière-pays traditionnel, l’Europe orientale et à une économie nationale en plein essor. La croissance économique est ici la clé. Durant la décennie écoulée, l’économie turque a presque triplé, une vague de prospérité qui est la plus longue de l’histoire de la Turquie moderne. Et avec 38 milliardaires, la Turquie possède déjà plus d’ultra-riches que le Japon, le Canada ou l’Italie. Comme ailleurs de par le monde, la nouvelle classe fortunée, soucieuse d’acquérir de l’influence, investit dans l’art, amenant ainsi à Istanbul des expositions prestigieuses. Au point que la ville sort aujourd’hui de cette léthargie culturelle dans laquelle elle s’était enfoncée au XXe siècle, et que ses habitants redécouvrent les joies de l’ambiance cosmopolite de l’Istanbul ottomane d’autrefois.
Un Empire aux confluents des cultures
Durant le seul mois de février, la ville a accueilli trois expositions d’exception. Les œuvres de Dali ont été installées sous les dômes orientaux d’une ancienne demeure ottomane, tandis qu’une autre manifestation a permis de faire découvrir aux Stambouliotes l’œuvre de Nazmi Ziya Güran, l’un des rares impressionnistes de l’Empire, qui a allié l’art ottoman aux techniques picturales développées en France à la fin du XIXe siècle. L’exposition, abritée par l’université Kadir Has — dont le campus est, détail plaisant, une fabrique de cigarettes du XIXe siècle rénovée — a permis aux Stambouliotes de découvrir les premières œuvres impressionnistes ottomanes. L’Empire ottoman et sa capitale, Istanbul, ont toujours été, à travers le temps, aux confluents des cultures. Ainsi, lorsque Osman Ier, fondateur de la dynastie ottomane, mourut au début du XIVe siècle, son fils et successeur, Orhan, choisit de l’enterrer dans un monastère orthodoxe à Bursa, première capitale des Ottomans. Par cet acte qui témoigne de son génie politique, Orhan a inauguré la conception multiconfessionnelle qui allait prévaloir dans le futur Empire ottoman. Il a ouvert la voie à l’intégration des populations chrétiennes et juives de l’Empire byzantin finissant, accélérant la constitution de ce qui allait devenir l’Empire ottoman, et faisant par là même d’Istanbul une métropole cosmopolite par excellence
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