Libération
Avant la chute du Mur, d’Istanbul à Berlin et Moscou, «l’Ange Rouge» (Seuil), roman de l'écrivain turc Nedim Gürsel, retrace l’errance de Nâzim Hikmet, le plus grand poète turc du XXe siècle. Il a répondu à vos questions.
Nicolas. Pourriez-vous m’expliquer le titre de votre livre : l’Ange rouge ?
Nedim Gürsel. Le titre original c’est Diable, ange et communisme, mais mon éditeur français a proposé l’Ange rouge, qui évoque un des personnages du roman, qui espionnait Hikmet en envoyant des rapports à la Stasi qu’il signait «Diable», et ses articles «Ange». C’est un titre qui évoque la problématique du communisme.
Alice. Pourquoi avez-vous consacré un roman au poète Nâzim Hikmet ?
N. G. C’est une des grandes figures du XXe siècle. Son itinéraire m’a semblé emblématique de l’engagement de cette génération qui a défendu une cause, malgré l'échec. Une deuxième explication, c’est que la vie de Nâzim Hikmet, que je connais en détail, m’a semblé très romanesque.
Alban. Avez-vous rencontré Nâzim Hikmet ?
N. G. Non, hélas, quand il est mort en exil à Moscou, en 1963, j’avais 12 ans, et interne au lycée de Galatasaray, à Istambul. J’aurais aimé le rencontrer, cela va de soi.
Vince. Nâzim Hikmet n’est pas très connu en France. Ses poésies sont-elles traduites en français ? Si oui, quelle lecture me conseilleriez-vous ?
Deniz. J’ai lu les poèmes de Nâzim Hikmet, mais en français ça ne donne pas la même chose qu’en turc au niveau de l’interprétation. Pensez-vous qu’il est possible de changer le sens de ses poèmes pour une meilleure interprétation ?
N. G. Il est vrai que Nâzim Hikmet est un peu tombé dans l’oubli, mais dans les années 70, il a été très connu en France. Je conseillerais son anthologie poétique qui s’appelle Il neige dans la nuit, parue chez Gallimard dans la collection Poésie.
Par ailleurs, je pense qu’il est relativement facile de traduire la poésie de Nâzim Hikmet en français, car elle est assez transparente, mais le turc et le français étant deux univers linguistiques radicalement différents, la traduction se fait aussi difficilement.
Roman. Avez-vous beaucoup romancé l’histoire de Nâzim Hikmet ? Et pourquoi l’avoir romancée plutôt que d'en faire une autobiographie ?
Pat. Avez-vous connu ou rencontré l’artiste peintre Abidin Dino ? A-t-il été une source d’inspiration pour votre personnage ?
N. G. Oui, j’ai bien connu Abidin Dino, le peintre turc, qui était très proche de Nâzim Hikmet. Il est nommé dans le roman, mais sans plus. Il s’agit d’un roman, donc d'une fiction. Il y a d’autres personnages que j’ai inventés, notamment celui du biographe de Nâzim Hikmet. Mais en ce qui concerne le personnage central du roman, c’est-à-dire Hikmet, je n’ai pas inventé sa vie, j’ai écrit à ma façon, à travers le personnage du biographe.
Adèle. Le coup d’Etat de 1980 en Turquie vous a contraint à l’exil. Avec le recul, comment voyez-vous cet épisode de votre vie ?
N. G. Cet événement a été pour ma vie, comme pour mon pays, une sorte de tragédie. Si je n’avais pas été contraint de quitter la Turquie, à cette époque, je n’aurais certainement pas autant parlé de la ville d’Istambul dans mes romans, car en exil, j’ai cultivé une sorte de nostalgie de ma ville bien-aimée, et de mon pays natal.
Michèle. Pendant combien de temps n’avez-vous pas pu retourner en Turquie ? Pouvez-vous désormais y séjourner à votre guise ?
N. G. Je n’ai pas pu y retourner pendant à peu près trois ans, car deux de mes livres ont été interdits, après le coup d’Etat. Maintenant, j’y vais très souvent, tous mes livres sont autorisés, y compris mon avant dernier roman, les filles d’Allah (Seuil), pour lequel j’ai été poursuivi en justice.
Romain. Votre liberté d’expression est-elle totale quand vous êtes en Turquie ? Etes-vous libre d'écrire et de publier ce que vous voulez ?
N. G. La liberté d’expression reste malheureusement limitée en Turquie. Il y a eu, certes, quelques progrès dans ce domaine, mais on continue à poursuivre les journalistes, et les écrivains. En ce moment, un des grands compositeurs turcs, Fazil Say, vient de subir le même sort que moi.
Régis. L’exil et l’engagement politique sont-ils les deux points communs que vous partagez avec Nâzim Hikmet ? Y’en a-t-il d’autres ?
N. G. Je ne partage ni l’engagement politique, ni l’optimisme de Hikmet, en ce qui concerne «les lendemains qui chantent». Mais je partage, autant que je peux, c’est-à-dire rétroactivement, ses malheurs, et sa nostalgie de la Turquie.
Anne. Nâzim Hikmet était-il un agent de la Stasi ? Son attachement inconditionnel au communisme ne lui a-t-il pas permis d’ouvrir les yeux sur ce qui se passait de «l’autre côté» ?
N. H. Il est resté fidèle jusqu’au bout à l’idéal de sa jeunesse. Pendant ses années d’exil à Moscou, il a constaté que tout n’allait pas très bien, mais cela ne l’a pas empêché de croire au communisme. Heureusement, il n’a pas connu l’invasion de Prague.
Léo. Comment Hikmet aurait-il vécu la chute du Mur ? L’avez-vous imaginé ?
N . H. Oui, je l’ai beaucoup imaginé. Il aurait été très triste. Et d’ailleurs, dans mon roman, un autre communiste, un des personnages importants, vit comme un grand déclin cet événement qui a marqué la fin du communisme.
Chienfou. Voyez-vous l’avenir de la Turquie dans l’Europe ou en dehors ?
N. H. Je suis un fervent partisan de l’adhésion de mon pays à l’Union européenne. J’ai même écrit un livre pour défendre cette cause, il s’intitule la Turquie, une idée neuve en Europe (Empreintes, Temps présent, 2009). Malheureusement, en ce moment, la Turquie semble avoir tourné la page européenne, et je le regrette.
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