Par Stéphane Frachet | les échos.fr 21/08 | 07:00
Le siège social de Saines, PME de nettoyage fondée par Haci Kozan en 1982, tient dans un hangar anonyme au coeur d'une zone industrielle de Tours. Depuis ces bureaux sans clinquant, ce Turc de cinquante-neuf ans dirige 600 personnes, réparties à Rennes, Bourges et Tours. A l'intérieur, la décoration est sobre. Un cliché de sa remise de l'Ordre national du mérite des mains de l'ancien secrétaire d'Etat aux PME, Hervé Novelli, en 2010, patiente sur une pile de dossiers. Un ballon du XV de France se dégonfle sur une chaise. Et une photo de l'équipe du Tours Football Club tient l'équilibre sur un classeur. Haci Kozan n'a pas pris le temps de les accrocher au mur.
Le succès de cette PME de 12 millions d'euros de chiffre d'affaires, à la rentabilité d'un métronome, autour de 10 % tous les ans, ne l'a pas enflammé. « J'ai créé cette entreprise à trente ans, parce que je voulais montrer qu'un immigré n'est pas un poids pour la société. Aujourd'hui encore, la France a tort de renvoyer des forces vives qui ne demandent qu'à créer de la richesse dans un pays qui les attire », plaide celui qui a pris la nationalité française au tournant des années 2000. « Ma femme est française, mes enfants le sont. J'ai fini par demander ma naturalisation », ajoute ce natif d'Elbistan, sur les hauts plateaux d'Anatolie.
Arrivé en France en 1976 après un long service militaire à Chypre, le sergent Haci Kozan a suivi les bataillons d'immigrés venus remplir les usines françaises. Première étape dans un haut-fourneau, à Pont-à-Mousson. « La préfecture ne m'a pas régularisé. Je parlais très mal le français », se souvient-il. Alors qu'il repart pour la Turquie, via Paris, il croise un compatriote qui lui assure que c'est à Tours que l'on parle le français le plus pur.
Une charte de respect
Sans papiers, le jeune homme frappe à la porte du prestigieux Institut de Touraine, qui accueille des étudiants du monde entier. « Le prix des études était exorbitant pour moi », rigole-t-il en se remémorant ces instants d'insouciance. Hébergé par des curés, il enchaîne les petits boulots. D'abord livreur de journaux au noir, puis laveur de vitres et balayeur. « Au bout de deux ans, j'étais devenu chef d'équipe, j'avais un permis de séjour. Je me suis marié et j'ai créé ma propre entreprise. J'ai signé mon premier contrat à l'autre bout de la ville. Comme je n'avais pas de voiture, j'y allais à vélo », raconte-t-il. On est en 1982, la PME Saines Nettoyage est née. Elle emploie d'abord une secrétaire, « qui assurait aussi des heures de nettoyage ». D'emblée, la société réinvestit ses bénéfices. Saines s'appuie aujourd'hui sur 3 millions d'euros de fonds propres.
A son arrivée, chaque nouveau salarié signe une charte, qui implique le « respect du client, des collègues et du travail bien fait », égrène ce PDG qui prône la liberté d'entreprendre et la répartition des richesses. Pompeusement baptisé « Innovation sociale et Citoyenneté », le document débute par l'article 23 de La Déclaration des droits de l'homme de 1948 : « Toute personne a droit au travail... à la protection contre le chômage... à travail égal, salaire égal... » Un texte que l'on entend plus souvent dans l'argumentaire des syndicats de salariés. « Je ne fais pas de politique, précise Haci Kozan. Mais l'entreprise est une réponse à la fragmentation de la société », clame-t-il.
« Au lycée, j'avais osé comparer De Gaulle à notre monument national, Atatürk. Le professeur m'avait sanctionné. Mais je persiste à croire que De Gaulle a été fondateur pour l'Europe et pour les relations au travail », expose ce féru d'histoire, dont l'un des trois enfants poursuit une carrière d'historien à Sciences po. Cette grandiloquence pourrait prêter à sourire. Pas ses pairs, qui l'admirent. « Dans un secteur qui emploie beaucoup de personnes aux parcours chaotiques, Haci Kozan mène un travail exemplaire de formation continue », témoigne Evelyne Balichard, de la Fédération des entreprises du nettoyage. « Son charisme est rayonnant, ajoute Claude Paris, président du Medef Touraine, qui l'a enrôlé dans une commission Ethique. Et sa pugnacité est une leçon. Il a traversé de multiples turbulences, mais il n'a jamais lâché la barre de l'entreprise, car il en connaît les enjeux humains. » Haci Kozan redistribue près de 20 % de son résultat opérationnel. Et comme Saines compte très peu de smicards, le turnover est inexistant.
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