La petite dernière du paysage audiovisuel turc s’appelle “İho Tis Polis”. “Écho de la ville”, en français, est surtout la première radio en langue grecque de Turquie. Elle s’adresse en priorité à la communauté “Rum” d’Istanbul, qui s’est réduite comme peau de chagrin au fil du 20ème siècle. Pour ses fondateurs, qui revendiquent 5.000 auditeurs à travers le monde, c’est déjà un succès
Une petite pièce dans un grand et vieil immeuble à moitié vide au cœur de Beyoğlu, l’ancien quartier des minorités et des Européens de l’Empire ottoman. Andrea Rombopulos, en chemise et pantalon blancs, présente l’un des sept bulletins d’information de la journée dans un studio rudimentaire, composé d’un micro, d’un ordinateur, d’une chaise et d’un bureau en bois.
Ecoutez Iho tis polis by Anne Andlauer
Dans la pièce voisine, les bureaux du journal İho, l’un des deux quotidiens en langue grecque d’Istanbul, qu’Andrea Rombopulos dirige également. Le Stambouliote rêvait depuis longtemps de fonder une radio mais les fréquences coûtent cher et le journal İho vend peu, 400 exemplaires par jour.
“İho Tis Polis” diffuse donc uniquement sur internet. Elle s’adresse en priorité aux Rums d’Istanbul, des hellénophones orthodoxes installés dans la ville depuis des milliers d’années.
Dix fois le succès espéré
Forte de plus de 150.000 âmes au début du 20ème siècle, la communauté grecque a déserté Istanbul et le pays au fil d’échanges de population, d’impôts sur les minorités, de pogroms et enfin de tensions entre Grèce et Turquie en mer Egée et à Chypre. Il resterait dans la mégapole de 15 millions d’habitants pas plus de 2.500 Rums. Et pourtant, en à peine trois mois d’antenne, İho Tis Polis compte 3.000 à 5.000 auditeurs quotidiens dans 70 pays.
“On nous écoute beaucoup en Grèce, en Allemagne, en France, au Canada et aux Etats-Unis. Des auditeurs nous écrivent pour parler de leur grand-père né à Istanbul et de sa maison qu’ils aimeraient retrouver un jour. On ne s’attendait pas du tout à un tel succès”, s’étonne encore Andrea Rombopulos. Le journaliste espérait 200 à 300 auditeurs, “500 en étant optimiste”. “Cela veut dire qu’on a eu raison de créer cette radio qui tisse un lien entre des Grecs du monde entier”, sourit-il avant d’ajouter, l’air grave : “Nous ne sommes que trois bénévoles et le succès crée une lourde responsabilité.”
Priorité à la musique
İho Tis Polis diffuse 24h/24 et la musique occupe plus de 95% du temps d’antenne. Tous types de musiques grecques, de la plus traditionnelle à la plus contemporaine. Pour Andrea Rombopulos, c’est un parti pris, pas un moyen d’occuper l’antenne avec des effectifs réduits. Les morceaux sont renouvelés chaque jour et diffusés par genre à des horaires précis. La tranche de rebetiko est la plus appréciée, chaque soir à 20h10.
“C’est une musique très aimée en Turquie. Je peux même dire qu’on entend plus de rebetiko à la radio en Turquie qu’en Grèce”, soutient Andrea Rombopulos. Ces longues tranches musicales permettent à İho Tis Polis d’attirer des auditeurs turcs non hellénophones. “Certains nous envoient même des messages d’encouragement. Ça aussi, c’est inattendu !” s’enthousiasme Andrea, “car peut-être que si nous avions lancé ce projet il y a 15 ans, nous aurions reçu des messages haineux. Là, nous n’en avons pas reçu un seul. Certaines choses changent en Turquie.”
Quelques ondes d’espoir
Ces derniers mois, la Turquie a fait quelques gestes envers ses minorités non-musulmanes. Les fondations communautaires peuvent désormais récupérer leurs biens confisqués au cours du 20ème siècle. Des centaines d'immeubles, de cimetières, d'écoles, d'hôpitaux, de fontaines... figurent sur la liste des spoliations. En février, le patriarche œcuménique grec orthodoxe, Bartholomée Ier, était reçu par la commission chargée de la réforme de la Constitution au Parlement. Le séminaire de Halki sur l'île de Heybeliada, fermé par l'Etat en 1971, pourrait rouvrir prochainement. Dans le même temps, la maison d’édition grecque Istos a repris ses activités fin mai à Istanbul, après 50 ans d’arrêt.
“La Turquie a commencé à prendre conscience de la valeur de la mosaïque culturelle qu’elle a essayé de détruire pendant des décennies", commente Andrea Rombopulos. "Mais il faut encore que les mentalités changent, notamment dans la bureaucratie, donc cela prendra du temps. Mais je suis plein d’espoir”, annonce-t-il.
Optimiste, Andrea Rombopulos l’est aussi pour sa petite radio. Il voudrait dès la rentrée confier les rênes d’un programme aux élèves des lycées grecs d’Istanbul. Car ces jeunes sont l’avenir de la communauté, de sa culture et de sa langue.
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) jeudi 12 juillet 2012
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