20 février 2014
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Le Figaro (France) no. 21630, jeudi 20 février 2014, p. LIT1
Le Figaro Littéraire
Le Figaro Littéraire
La chronique d’Etienne de Montéty
Avouons-le, nous n’étions pas retournés à Istanbul depuis la lecture de Loti, Aziyadé, et de Morand, dont la nouvelle s’appelle d’ailleurs « La Nuit de Constantinople » , c’est dire si ça date. D’où notre surprise de plonger aujourd’hui dans une ville du XXIe siècle, peuplée de 15 millions d’habitants où l’on entend parler cinéma et DVD. En 2014, Istanbul n’est plus capitale de la Turquie, mais Orhan Pamuk, le Prix Nobel de littérature turc, la célèbre à l’envi. Ce n’est pas à Ankara que pareille bonne fortune arriverait.
Nous devons ce brusque voyage dans le temps, dans l’Istanbul contemporaine, à un jeune écrivain, qui n’est pas Prix Nobel, Sébastien de Courtois. Jusqu’ici, nous ne connaissions de lui que sa fine érudition portant sur les chrétiens d’Orient, qu’il suit depuis de nombreuses années, d’Ur jusqu’à Jérimadeth. Dans Un thé à Istanbul, le savant a accepté de se faire guide. Il nous emmène à la poursuite des fantômes qui hantent la ville.
Le premier d’entre eux est un de ses aïeuls qui y vécut il y a quelque cent ans, travaillant pour le compte de la banque ottomane. Grâce à l’Almanach impérial, sorte de bottin de la société de l’époque, l’auteur a retrouvé sa trace et son adresse : rue de Pologne. Et bientôt des bribes de son histoire. Il faudrait lire Un thé à Istanbul une carte de la ville en main. Courtois n’est plus un touriste et pas encore complètement turc. C’est un flâneur, vaguement salarié. Où se trouve dans Galata la maison de Chénier ? Et Klod Farer Sokak, dans le quartier de Çemberlitas ? On aura reconnu dans ce nom d’artère l’écrivain Claude Farrère, qui chanta les nuits de la métropole et ses plaisirs fumeux.
La promenade à laquelle nous convie Courtois est à la fois très dépaysante et très familière. Il ne cherche pas le pittoresque (fidèle en cela à Loti), nous épargne l’Istanbul tour ; il semble attiré en priorité par le vivant : un café vaut non parce qu’il est conseillé dans Lonely Planet mais parce que l’auteur y retrouve des amis. Le quartier autour de Taksim est sans charme, mais c’est là que bat le cœur vigoureux de la ville, de récents événements l’ont prouvé. Tant pis pour Péra, que chantèrent les voyageurs du début du XXe siècle.
À l’inverse, bienvenue dans les îles des Princes, petit archipel au large dans la mer de Marmara, où il confesse qu’il s’ennuie : « Tout pays où je ne m’ennuie pas est un pays qui ne m’apprend rien » , disait déjà Camus. Bienvenue aussi à Sainte-Sophie, mais pas pour célébrer l’imposant chef-d’œuvre de l’art byzantin, envahi chaque jour par des milliers de touristes. Courtois n’aspire qu’à s’y laisser enfermer pour la visiter à la lueur des bougies, comme un conquérant de la nuit.
Un autre fantôme le hante, qui a le joli visage d’Esma, une jeune Turque nourrie aux sciences humaines quand lui se contente de croire fermement au génie du christianisme. Elle aimait bien le petit Français qui lisait Nerval à voix haute. Avec elle, il a arpenté la ville dont elle lui a ouvert bien des portes. Ils sont allés écouter le pianiste Fazil Say. Mais on apprend qu’Esma s’en est allée.
Elle a laissé Courtois aux prises avec le hünzün, cette mélancolie subtilement mêlée de vent venu du Bosphore qui parcourt tout le livre et en fait tout le charme.
Un thé à Istanbul de Sébastien de Courtois, Le Passeur, 270 p., 18,50 eur.
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